Legitimité et post-conflit en afrique de l’Ouest
Rôle dans la consolidation de l’Etat
MASSAËR DIALLO
Mots-clés
- légitimité
- démocratisation
- Sortie de conflit
- Afrique de l’Ouest
En tant que chef d’unité gouvernance, dynamique des conflits et paix et sécurité au Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest/OCDE, Massaër Diallo a une bonne vision sur l’interaction entre les dynamiques de conflits et de la légitimité politique en Afrique de l’Ouest. Dans cette fiche il explique que la légitimité à un triple enracinement, dans le droit, les institutions politique et les populations. Il s’interroge sur la relation entre les pouvoirs traditionnels et les actes constitutionnel; les modes de production de la légitimité; et la transformation des bases normatives de la légitimité.
Dans le contexte de l’Afrique de l’ouest la concomitance de trois facteurs clefs donnent du relief à la question de la légitimité. Il s’agit notamment de la fragilité étatique, de l’existence de conflits à diffusion sous-régionale , et enfin d’ un important dynamisme des acteurs au plan sociopolitique.
Cette région est en effet fortement marquée par une prédominance d’États fragiles : cela concerne 9 des 15 des États membres de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). On y compte le Nigeria et la Côte d’Ivoire qui ont le plus grand poids économique et démographique en Afrique de l’ouest.
10 pays membres sur 15 de la CEDEAO ont connu et/ou connaissent encore des conflits ou crises violentes affectant la paix et la stabilité et mettant à mal l’existence d’un ordre fondé sur un consensus des acteurs sur les règles. En outre ces conflits, même réglés, laissent réel un niveau élevé de risque de résurgence.
Ils sont aussi symptomatiques des crises de dés-unification auxquelles ont abouti les projets de construction nationale ayant servi de feuille de route à l’élite politique dans les années 60. Il était en effet question de réaliser des État-Nations pour concrétiser la souveraineté politique en même temps et le cadre du développement .
En réalité dans beaucoup de cas c’est surtout un État à faible ancrage social et national qui a été construit comme appareil de pouvoir centré sur sa sécurité et adossé au monopartisme .C’est l’une des bases de la fragilité amplifiée au fil d’une histoire politique marquée par la lutte multiforme des acteurs autour de l’enjeu de contrôle du pouvoir.
En matière de post-conflit l’Afrique de l’ouest connaît trois types de situations :
/ Les pays comme le Liberia et la Sierra Leone dont la transition a été couronnée par des élections démocratiques qui ont ouvert une ère pacifiée de reconstruction et de mise en œuvre de politiques de développement. L’État, nonobstant la persistance de contraintes liées à la fragilité est nanti d’une légitimité politique et sociale. Le consensus des acteurs sur les règles du jeu démocratique, après un passé fait de conflit armé meurtrier, contribue non seulement à la stabilisation de ces deux pays mais aussi à la consolidation d’un État qui échappe à la défiance à la défiance.
Dans cette première catégorie de pays la légitimation électorale constitue un important atout ; mais la consolidation de l’État reste soumise à sa capacité à relever les graves défis de sécurité (surtout au Liberia), d’emploi des jeunes et de lutte contre la pauvreté.
La Guinée Bissau constitue un autre type de pays post-conflit caractérisé par son instabilité spécifique.
Sortie de guerre civile depuis 2000 elle reste profondément marquée par une violence politique déstabilisatrice et une forte pression du narco trafic sur la vie publique. Ces deux facteurs contrarient les acquis des élections législatives qui se sont déroulées dans la régularité et la transparence en Novembre 2008. Elles ont permis de renforcer la légitimité du PAIGC, parti majoritaire à l’Assemblée nationale et en charge du gouvernement. Mais le poids de l’armée continue de peser sur la gestion de l’État. Les contradictions entre les acteurs politiques et/ou les institutions (Assemblée, gouvernement, Présidence de la république, Armée) continuent de s’exprimer au delà du jeu politique par des actes de violence meurtrière. .
Ainsi dans le contexte sociopolitique de la Guinée Bissau le fonctionnent formel de la démocratie n’est pas corrélé à un renforcement de l’État. Au contraire il constitue un champ de confrontation des acteurs en charge de sa conduite politique.
L’existence d’une dualité de pouvoirs entre le gouvernement dépendant d’une majorité parlementaire d’une part et le Président de la république élu au suffrage universel d’autre part n’est seule en cause. Elle n’a fait qu’envenimer et catalyser l’expression de contradictions politiques liées à d’anciens contentieux dans le PAIGC et à des inimitiés nées de la guerre civile de 1999.
Le poids de l’armée sur la scène publique et surtout au niveau de l’État loin d’être lié à un rôle qui lui serait ainsi légalement dévolu , est plutôt lié à une certaine légitimité historique issue de la libération politico-militaire du pays du joug colonial.la légitimité historique servie en plus par la force des armes vient ainsi concurrencer , voire contrebalancer la légalité et la légitimité politique dont peuvent se prémunir des leaders élus et les institutions démocratiques
Ce conflit doit être arbitré par la société sur la base de nouveaux choix (démocratiques) qu’elle semble exprimer à travers son implication dans les élections. C’est dire que par delà la nécessaire réforme du secteur de sécurité il convient d’appuyer une dynamique sociale qui permette de solder le compte des légitimités passées et de trouver mieux celles portées par la construction de la démocratie , la lutte contre la pauvreté et l’impunité entre autres.
Des acteurs de plus en plus nombreux s’inscrivent dans une dynamique de transformation des références sans aucun reniement d’une histoire de libération nationale qui structure l’identité nationale Bissau -guinéenne .Il en est ainsi de larges secteurs de la jeunesse, de la société civile et des acteurs politiques .
La force des références à la libération est probablement due à la réactivation de celles-ci durant la guerre civile de 1999. A cette occasion en effet l’armée sénégalaise était intervenue en appui au gouvernement du président Nino Viera qui faisait face à une rébellion de l’armée conduite par son chef de l’époque, le Brigadier général Ansumanah Mané. .
Certains observateurs considèrent que maintenant les comptes sont soldés puisque tous les protagonistes de la crise entre l’armée et l’exécutif, notamment les généraux Mané , Na Waie et le Président Nino sont morts. Mais en réalité par delà la nécessaire réforme du secteur de sécurité, le pays semble avoir besoin d’une justice et d’une réconciliation de ses divers acteurs , civils et militaires , sociaux et politiques pour pouvoir bâtir un consensus fort base d’une stabilisation durable de l’État et du pays.
Les pays post-conflit en attente d’une élection démocratique
La côte d’Ivoire est le principal pays concerné , même si on peut lui adjoindre le Togo qui vit toujours sa dynamique de sortie de crise que devrait confirmer et consolider les prochaines élections présidentielles de 2010.
La Guinée Conakry quant à elle , sans relever d’une situation post-conflit semble s’inscrire dans une dynamique de sortie de crise ; notamment après le coup d’État intervenu le 23 Décembre 2008 à la mort du Président Lansana Conte et l’acceptation par la junte de conduire juste une transition devant aboutir à des élections législatives et présidentielles destinées à instaurer un pouvoir constitutionnel civil avant fin 2009.
L’Afrique de l’Ouest connaît un important dynamisme sociopolitique.
Il est lié à une forte mobilisation des acteurs sociaux et politiques, civils et militaires autour de deux principaux enjeux : la lutte pour le pouvoir (pacifique mais sujette à des dérapages ou des évolutions vers des formes violentes) d’une part et la promotion de la paix, la démocratie et l’équité d’autre part. qui mobilise de plus en plus de jeunes et de femmes de même que des organisations comme la CEDEAO.
Les élections sans être à elles seules un indicateur de démocratie sont communément choisies comme voie pour choisir ses dirigeants ; elles sont préconisées pour accéder au pouvoir ou pour le garder, même si on note une tendance à la résurgence des coups d‘État . Elles jouent un rôle important dans la sortie de crise et la stabilisation pour les pays de la région en situation post-conflit. Malgré les contentieux auxquels elles peuvent donner lieu, elles apparaissent et demeurent le mode de légitimation du pouvoir politique face à l’expérience des régimes issus d’actions armées et/ou non constitutionnelles.
On retrouve la question de la légitimité se retrouve, dans la diversité des situations à trois niveaux :
• au cœur de la problématique de l’État et des fondements de son autorité
• comme facteur important pour une stabilité durable fondée sur une prise en compte et une implication des populations
• comme nécessité stratégique impliquant une re-contractualisation sociale et politique entre les acteurs base d’une refondation post-conflit de l’État
LA LEGITIMITE EN QUESTION :
La légitimité a un triple enracinement, notamment dans le droit (la légalité), les institutions politiques (la démocratie) et les populations.
La légitimité est liée à la légalité tout en ne s’y réduisant pas
Il existe une certaine interdépendance entre légalité et légitimité. L’une se fonde ou se fond dans l’autre. la détermine à bien des égards ou , à tout le moins ,la sous-tend . S’il y a une importance fondamentale accordée à des élections transparentes et régulières et à l’existence d’un État de droit c’est parce que la légalité et la légitimité sont en profonde osmose pour fonder la démocratie. Il n’y a pas de pouvoir légitime qui ne ressortisse de la légalité ou d’une légalité déjà en construction.
L’exemple du président ivoirien Laurent Gbagbo peut être cité. En 2007; il fait l’objet d’un déni de légitimité de la part de l’opposition ivoirienne y compris les Forces Nouvelles Les mandats de l’Assemblée nationale et de la Présidence de la république avaient dépassé leurs termes sans que ces institutions aient pu être renouvelées.
. En l’absence d’élections ne pouvant se tenir immédiatement le président ivoirien a défendu l’argument suivant : « la constitution dit que l’on est élu pour cinq ans et que le mandat s’achève quand le suivant a prêté serment. Il n y a pas de suivant .». Le déni de légitimité est contré ici par une convocation de la légalité constitutionnelle, qui a fait l’objet d’une interprétation circonstanciée. Mais le Président Gbagbo rendra compte aussi dans le même entretien, l’importance incontournable des élections dans le renouvellement de la légitimité .La seule légalité du pouvoir ne pouvait durablement suffire, surtout dans un contexte de contestation et de fragilité étatique. L’enjeu des élections dont il reconnaît l’importance c’est de départager les prétendants et créditer le détenteur du pouvoir de l’autorité nécessaire pour l’exercer avec le consentement des gouvernés Il souhaitait en conséquence sortir la Côte d’Ivoire de sa « situation hybride par une élection qui légitime quelqu’un, qui forme un gouvernement homogène. »
L’utilisation fréquente de lois sur mesure dans un contexte où l’État de droit est faible, bafoué ou quasi inexistant crée alors un divorce patent entre légalité et légitimité.
En outre l’expérience des contextes de crises , de conflit et/ou de transition révèle quelquefois des situations de dualité transitoire ou chronique dans lesquelles le pouvoir légal fait face à un autre pouvoir déjà institué ou en cours de construction en s’appuyant sur une adhésion populaire d’ordre identitaire et/ou territorial.. Dans un tel cas de figure c’est une certaine légitimité ou supposée telle qui fait face à une légalité constituée .La Côte d’Ivoire a connu une telle situation avec la dissidence politico-territoriale impulsée par les Forces Nouvelles après l’échec de leur coup d’État de 2002.
Les situations de divergence entre légalité et légitimité résultent généralement de deux principales causes :
La première renvoie aux contextes de conflits qui en Afrique subsaharienne par exemple déterminent des tiraillements ou luttes entre un Pouvoir national légal (pas nécessairement dépourvu de toute légitimité), et un pouvoir auto proclamé, non légal mais éventuellement nanti d’une certaine légitimité locale.
Ce cas de figure courant à l’époque des mouvements de libération anticoloniale, rend compte dans la période postcoloniale, des formes revêtues par la crise de l’État-nation.
La légalité donnant formellement une légitimité nationale entre alors en conflit avec des légitimités locales périphériques qui finissent par se consolider en dissidence politique et territoriale.
La durée relativement longue ou la récurrence de certains conflits prend racine alors dans l’ancrage possible, ou l’exploitation politique par certains acteurs, d une légitimité initiale et/ou locale nourrie par la défense réelle ou supposée des intérêts de populations frustrées de leurs droits et attentes vis-à-vis du pouvoir central
.La crise de violence armée dans le Delta du Niger, de même que la résurgence des crises touaregs au mali et au Niger, constituent des exemples.
Mais il faut faire attention à ce que la prise en compte des racines de la légitimité ne devienne, une simple légitimation des défiances ou déviances organisées par rapport à la loi.
La nécessité de prendre réellement en compte le droit des peuples dans des contextes nationaux faits de diversité, ne doit pas paradoxalement désagréger les liens construits par la démocratie qui renvoie à une souveraineté indivise.
La prise en compte de la religion, l’ethnicité de la localité et de la communauté ne sont pas opposables à l’unification démocratique. Celle –ci s’accompagne d’une commune territorialité politique qui doit se nourrir et se fortifier de toutes les différences (individuelles et collectives) lui servant par ailleurs de trame. Il n’existe pas de fatalités régressives qui renvoient des peuples unis à leur passé de groupes séparés. L’appel du passé intervient souvent comme idéologie identitaire et/ou séparatiste dans des contextes de frustration ou de manipulations liées à des tactiques de lutte pour le pouvoir.
La stratégie de consolidation post-conflit de l’État doit justement intégrer l’intelligence de telles situations, comme leçon apprise ou comme sagesse préventive. Cela implique un fort volontarisme en matière d’inclusion, de prise en compte et de respect de la diversité des groupes et sensibilité qui constituent l’ensemble national et fusionnent dans l’unicité postulée du peuple sujet de la démocratie en tant que « Démos ».
En Afrique subsaharienne c’est l’un des plus importants enjeux de la légitimité dans la nécessaire reconstruction démocratique des États-nations dont beaucoup sont , de manière visible ou non , en lambeaux ou en crise.
L’intérêt stratégique que représentent les pays post-conflit , c’est de donner en toute transparence l’état des lieux des expériences douloureuses , des menaces et risques connus en matière de paix détruite et de nations et de sociétés déchirées par le conflit .
La reconstruction/consolidation étatique ne peut faire fi de la réponse à certaines questions clefs :
Les populations vivent-elles avec l’État dans leur quotidien ? La sentent-elles à travers des réponses données à des problèmes primordiaux ? Participent-elles à la démocratie ? Sont –elles impliquées réellement dans les décisions et au niveau des pouvoirs érigés à leur nom ?
Dans la plupart des pays de la région sortant ou non de conflits violents , en dépit d’acquis en matière de gouvernance et/ou de démocratisation, la réponse à cette question met en évidence des faiblesses et des insuffisances .Celles-ci font le lit d’un divorce entre légalité et légitimité au niveau des pouvoirs d’État.
La volonté et/ou la capacité de réponse de l’État restent faibles face à la pauvreté (de 40 à 50% de la population) l’insécurité, la criminalité (dont un narco trafic de plus en plus inquiétant, les conflits et/ou la demande sociale ; Tous ces défis d’une grande acuité mettent l’État à très rude épreuve dans la diversité des équipes qui se succèdent à sa tête.
La légitimité électorale et la légalité constitutionnelle demeurent très importantes, surtout dans les contextes post-conflit où elles permettent de faire la différence entre les acteurs et de les départager sans violence face à l’enjeu de contrôle du pouvoir et de gestion des ressources ;
Mais le renouvellement de la légalité du pouvoir n’est pas à lui seul gage durable légitimité s’il n’est pas suivi d’une capacité d’action et de résultats sur le double plan des urgences et du développement durable. A terme l’autorité de l’État et sa reconnaissance par la société vont dépendre de ce que le pouvoir politique lui-même fait de la légalité , et de son rapport réel aux populations.
La proximité avec celles-ci et leur implication peut passer par une décentralisation portant la démocratie effectivement au niveau local.
Dans les situations post-conflits et post-crise en Afrique de l’Ouest, l’année 2007 marquée par de nombreuses élections a montré que les populations ont manifesté un engouement réel pour les élections.
Le taux de participations en Sierra Leone a été ainsi de 68% aux présidentielles et de 76%aux législatives. Au Togo elles ont été respectivement de 64% et de 85% ; en Mauritanie où l’enjeu étai le retour à un gouvernement civil la participation a été de 70% (aux présidentielles et 73% aux législatives.
Par contre dans les pays qui ont été présentés dans le passé comme des vitrines de la démocratie (c’est le cas du le Mali et du Sénégal, il s’est produit de manière visible le mouvement inverse des pays post-conflit : notamment avec une forte poussée des tendances abstentionnistes à des élections destinées à renouveler les institutions démocratiques.
Quelque puissent en être les raisons, l’abstention est un facteur qui contribue à l’érosion de la légitimité politique et de la crédibilité démocratique dans une région où en moyenne seule 50% de la population est en âge de voter.
Les espoirs placés par les populations dans les démocraties post-conflit doivent être entretenus et consolidés par leur implication durable dans la reconstruction politique et sociale.
Faute d’une telle approche il y a risque de retrouver les comportements politiques en cours dans les pays ne sortant pas d’une crise.
De nombreux chercheurs et acteurs de la société civile de la région mettent en évidence la faiblesse des institutions étatiques qui se contentent de leur légalité sans avoir une approche d’enracinement et de renouvellement social et politique au niveau des populations . Certains ’incriminent le caractère importé et non adapté des États hérités de la colonisation Mais le mal se trouve dans l’histoire interne des sociétés elles-mêmes qui ont produit des élites fonctionnant pour elles-mêmes et ne se considérant comptables que vis-à-vis de l’extérieur. Cette extraversion doublée d’un déficit d’enracinement a des conséquences sur l’État, ses règles, ses formes et ses modes de légitimation. Sans être exogène l’élite est tournée vers l’extérieur ; ce n’est pas une conséquence de l’État. , c’est plutôt un de ses déterminants éventuels.
Le conflit ou le décalage entre légalité et légitimité est de nos jours très discuté au niveau de la démocratie elle-même, après les euphories des années 90.
L’exemple du Mali est de ce point de vue fort intéressant puisque ce pays est sorti de la dictature militaire par une révolution démocratique en 1991 .La jeunesse, la société civile et tout le peuple ont payé un lourd tribut pour le changement. L’exemplarité de la démocratie instaurée à travers un véritable mouvement populaire ne l’a pas mise à l’abri d’un risque d’affaiblissement de son assise du fait d’une implication de plus en plus faible des électeurs dans le renouvellement périodique des institutions nationales (Présidence et parlement).
Dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest, l’État postcolonial a été très influencé par le modèle jacobin ; et il évolue avec du retard par rapport à l’ancienne métropole qui lui-même soumis à des transformations qui tempèrent les excès de la concentration et la centralisation
cet héritage politique a aggravé le déficit d’enracinement périphérique et de démocratie locale qui renforceraient et élargiraient pourtant la légitimité nationale de l’État
IL n’empêche que dans certains pays, comme au Togo sous le président Gnassingbé Eyadema et en Côte d’Ivoire sous le président Houphouët Boigny , les chefferies traditionnelles seront mises à contribution dans le dispositif de légitimation du pouvoir au-delà duquel l’État se réduit à une administration aux ordres plus qu’à un ensemble articulé d’institutions fonctionnant selon des règles impersonnelles.
L’une des causes de la fragilité étatique réside dans cette personnification prononcée du pouvoir politique qui convoque les mécanismes et figures traditionnels de l’autorité à un moment important de construction de l’État postcolonial.
Jusqu’aux années 80, dans beaucoup de pays de la région l’État prend des allures de chefferie d’État. Le pouvoir d’État se réduit au chef de l’État. . Quand il était question d’africanisation, cela concernait non pas la démocratie à soumettre à l’preuve d’une appropriation mais plutôt le Pouvoir. Du coup les élections et la constitution n’étaient pas nécessairement la base ultime de sa légitimité.
Légitimité et efficacité politique : Importance d’une crédibilisation politique de l’État par des actes
Le contexte social, politique et économique post-conflit est marqué par de fortes attentes.
Deux acteurs clefs sont principalement interpellés :
• les représentants de la communauté internationale impliqués dans la construction de la paix et le renforcement de l’État.
• L’équipe politique en charge du fonctionnement de l’État et de la conduite des politiques gouvernementales
Les populations et les acteurs sociaux et politiques investissent leur confiance dans les organisations, institutions et leaders qui donnent des gages de volonté et d’efficacité. La phase post-conflit fournit ainsi à l’État et à ses dirigeants une bonne occasion de (re-) légitimation.
Ces deux critères peuvent faire fi du statut constitutionnel du pouvoir et/ou du leader.
En Guinée la situation actuelle du chef de la junte au pouvoir, le président Moussa Daddis Camara, est un exemple d’une grande actualité. Ce leader venu par un putsch- non violent il est vrai- a été en définitive reconnu par les acteurs de la société civile et les partis politique. A la différence de la communauté internationale, y compris de la CEDEAO, Ils n’ont pas finalement mis en avant l’absence de respect du mécanisme constitutionnel de remplacement du chef de l’État décédé. En effet cette exigence (normale) de respect de la légalité se heurtait par ailleurs au déficit de légitimité de l’institution parlementaire dont le terme du mandat des députés était largement dépassé sans être renouvelé. . Or c’est au président de l’Assemblée nationale que devait être dévolu l’intérim du Président de la république décédé. Les militaires eux-mêmes n’ont pas manqué dans leur première déclaration annonçant la prise du pouvoir de mettre en avant l’absence de légitimité du dauphin constitutionnel.
La société civile et les partis politiques ont fondé leur reconnaissance du Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD) sur son acceptation d’un agenda de transition consensuelle et pacifique centré sur la préparation et la tenue d’ élections régulières et transparentes restaurant un pouvoir civil dans un système démocratique pluraliste
Pour autant il restait à la junte elle-même la nécessité d’asseoir son pouvoir sur une légitimité élargie qui atteigne les populations .Cela a commencé à se faire par des actions à fort impact médiatique et populaire.Le CNDD mène en effet de manière volontariste et des fois spectaculaire, des actions anti corruption et pour l’assainissement de la gestion des ressources publiques. Il s’est aussi attaqué au narco trafic en ciblant ses ramifications au cœur même de l’État . L’impact de ces actions sur l’opinion et singulièrement sur les jeunes a renforcé la légitimité de l’équipe du capitaine Camara au niveau social. Il commençait à avoir un effet sur la crainte et la méfiance que les populations entretiennent avec l’État en Guinée .
L’absence de légalité constitutionnelle de l’équipe issue du coup d’État Conakry a rendu nécessaire l’ouverture d’un dialogue avec les acteurs internes et externes (communauté internationale). Ce dialogue constitue une opportunité pour ré-enraciner l’État dans la société après des fractures profondes liées à de multiples crises ayant débouché sur des répressions sanglantes et une dé-crédibilisation des institutions démocratiques comme le parlement. Celui-ci, faute de légitimité s’est vu dépossédé par un coup d’État de sa fonction d’organisation de la succession du président de la république sans que cela prête à de sérieuses protestations de la classe politique et/ou de la société civile
En Côte d’ivoire la suppression de la carte d’étranger par le Président Laurent Gbagbo a été un facteur très important en fin 2007 dans sa (re-)conquête de l’opinion (au Nord de son pays et dans la sous-région) après une période fortement marquée par une réputation d’exclusion attachée à l’idéologie de l’ivoirité. Celle-ci avait induit une dynamique et des actes d’exclusion mis en œuvre à l’encontre de citoyens du pays ou des États voisins sociologiquement soudés au peuple de Côte d’ivoire.
Cette nouvelle mesure (concernant la carte d’étranger) constituait indéniablement un signal fort ; elle est venue exprimer et matérialiser une volonté de réparation et de réconciliation de l’autorité politique avec une opinion et certaines composantes d’un peuple dont la défiance et la dés unification pouvaient avoir un impact très corrosif sur la légitimité politique des gouvernants.
Le processus politique de sortie de crise en Côte d’Ivoire, après le tournant des Accords de Ouagadougou en Mars 2007 sera ponctué entre autres par divers autres actes politiques de l’autorité étatique participant d’une reconstruction de la légitimité fortement mise à mal par une quasi partition du pays, un déchirement socioculturel du peuple et par moments un quasi clivage ethno-régional sur fonds politique. La rencontre du Président Gbagbo avec les populations de Bouaké et d’autres localités jadis contrôlées par la rébellion, est venue ainsi exprimer le besoin et la recherche (normale) de cette nécessaire reconnaissance de l’autorité par les populations, par-delà la légalité constitutionnelle du pouvoir politique qu’il exerce.
Au Togo l’absence, selon certains acteurs notamment, - de positions fortes et visibles de la CEDEAO face aux graves violences et aux fraudes massives lors des élections présidentielles de 2005 a affecté son crédit au niveau de la société civile et des partis d’opposition de ce pays, malgré son action pourtant fort importante dans la recherche de solutions à la crise politique.
Suite au décès du Président Eyadema, malgré le contexte de crise et la fracture dans la classe politique d’une part et entre l’État et la société civile d’autre part, seule la constitution du pays pouvait servir de base pour organiser la succession. Or les délais induits par une lecture impartiale de la constitution n’arrangeaient au fond aucun parti en lice pour les élections à venir. La CEDEAO tenant son mandat d’une légalité régionale, avait la légitimité requise pour assurer un arbitrage entre les acteurs politiques. Dans ce cadre s’est retrouvée en position de devoir défendre des positions qui n’arrangeaient pas, en termes de délais d’organisation du scrutin, les acteurs politiques pris au dépourvu.
Ceux-ci auront des postures de reconnaissance ou de défiance vis-à-vis des institutions régionales et internationales en fonction de la perception de leur efficacité et/ou de la concordance ou non de leurs propres intérêts.
Des acteurs régionaux (comme la CEDEAO par exemple) vont paradoxalement se retrouver dans certains contextes conflictuels moins appréciés que des acteurs externes (par exemple l’Union européenne.)
En effet dans les contextes de crise électorale au Togo en 2005 et au Nigeria en 2007 l’Union Européenne a eu dans les milieux non gouvernementaux une côte de confiance plus élevée que la CEDEAO qui tire pourtant son mandat de la volonté de ses 15 États membres dont les acteurs politiques sont des citoyens.
Ces situations de défiance relatives dans certains contextes d’effervescences politiques nationales sont liées à une exigence de plus d’efficacité et à une quête d’arbitrage équitable dans des contentieux où le rapport de force disproportionné pèse en faveur des détenteurs du pouvoir politique.
L’Union européenne tire sa grande côte de confiance de son efficacité et sa politique de fermeté de principe maintenue par exemple pendant plus d’une décennie vis à vis des autorités togolaises après la répression politique sanglante de 1993.
Mais il y a aussi que les citoyens d’Afrique de l’Ouest et leurs organisations peuvent vivre facilement une crise de confiance vis-à-vis de leurs institutions communautaires déjà du fait qu’elles ont une émanation multiétatique censée les prédisposer éventuellement à une partialité ; De telles méfiances rendent aussi compte de l’absence ou de la faiblesse de l’appropriation des politiques et fonctions communautaires de régulation par les citoyens qui y ont un rôle important à jouer. Leur implication au travers de la société civile, des parlementaires, et des partis politiques donne plus de légitimité et garantira plus d’efficacité au niveau des actions de la CEDEAO par exemple.
Fondement politique et social de la légitimité :
Un enracinement démocratique
La légitimité de l’intervention d’une organisation comme la CEDEAO dans le domaine du maintien de la paix a fait débat dans certains secteurs de la société civile et au niveau de think tanks.
Dans de nombreuses réflexions menées l’importance de la démocratie est nettement ressortie comme le socle interne nécessaire pour inscrire les opérations de l’Ecomog dans un cadre légal et légitime.
Le cas de la CEDEAO des années 90 a été ainsi abordé par Anning (2005) qui parle de dilemme à propos du régime des pays qui avaient composé le groupe d’observation militaire (Ecomog) lors de son intervention au Liberia : parmi « les leaders qui ont mené ce processus d’intervention [figuraient] des dictateurs … ; mais qui, de façon ironique, tentaient de « démocratiser » le Liberia en tant qu’aspect inhérent du mandat de la CEDEAO » dit –il. Cette contradiction soulevée avait pour intérêt et enjeu d’avoir une approche de la démocratie qui soit globale et cohérente. Pour que notamment l’organisation communautaire soit forte d’une légitimité démocratique permettant de remplir des missions de peace-keeping avec crédibilité et efficacité aux yeux des citoyens de la région
Pouvoirs traditionnels versus actes constitutionnels ?
Légitimité et traditions en Afrique de l’ouest.
En Juillet 1999 le Général Eyadema Président d’une république togolaise en crise depuis au moins 1993, avait pris l’engagement public et devant la presse internationale de respecter la constitution de son pays et donc de ne pas briguer un nouveau mandat présidentiel en 2003. Cette promesse s’inscrivait dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord cadre de Lomé parrainé par le Président français, M Chirac et destiné à sortir le Togo de la crise par une démocratie bâtie sur le dialogue politique et l’État de droit.
Cet engagement une fois respecté pouvait ouvrir de nouvelles perspectives de déblocage de la longue crise sociopolitique togolaise en permettant notamment un renouvellement du leadership politique. Mais cet espoir fut déçu par la suite dans la mesure où le Chef de l’État togolais finit par revenir sur sa décision en se prémunissant de la demande des acteurs socioculturels de son pays, en l’occurrence les chefs traditionnels organisés et fortement mobilisés en délégation. Ces Chefs traditionnels après avoir perdu leur véritable pouvoir autonome ont fait partie des leviers du pouvoir du Général Eyadema et de son parti le Rassemblement du Peuple togolais (RPT.). Leur intervention et leur demande solennelle au Président de reconsidérer sa position s’appuya sur une argumentation convoquant une légitimité interne fondée sur les normes de la société opposée en la circonstance à celles exogènes dont la communauté internationale pouvait se prévaloir. Ce n’est pas cette dernière qui l’avait élu et ce n’est pas elle qu’il serait appelé à diriger.
Les chefs traditionnels fournirent au Président togolais une base de légitimation du non respect de la contrainte constitutionnelle portée par la charte fondamentale de 1993 alors en vigueur.
Ainsi le 30 décembre 2002 la constitution sera modifié pour lever l’obstacle que constituait son article 59 n’autorisant pas plu de deux mandats consécutifs à la tête de l’État. En Juin 2003le Président sera réélu et restera au pouvoir jusqu’à sa mort en 2005.
En dehors du Togo d’autres chefs d’État ont utilisé les valeurs, structures et/ou forces traditionnelles dans la légitimation de leurs actes de gouvernance et plus globalement de leur pouvoir politique. Cela a été le cas au Zaïre sous le président Mombutu, au Tchad sous le président Tombalbaye entre autres.
Pour autant il n’existe pas de conflits ou de contradictions insurmontables entre démocratie et traditions. Bien au contraire l’expérience des pays anglophones des régions comme le Ghana et le Nigeria montre que la constitution d’essence démocratique peut et doit se contextualiser en prenant en compte les stratégies, modes et formes traditionnels de pouvoir et de gestion de la vie publique .
La légitimité en situation post-conflit
Les pays en situation post-conflit font l’objet d’un double espoir pour la sous-région :
D’abord parce que leur retour à une paix durable contribuerait à éloigner le spectre des conflits à diffusion régionale dont ils ont pu constituer un épicentre.
Ensuite du fait que ces pays capitalisent des leçons apprises à mettre en œuvre dans la reprise éventuelle d’un processus de construction nationale et démocratique appelé à tenir compte des terribles méfaits de l’exclusion et de l’autocratie entre autres.
Des modes de production de légitimité
Si la question de la légitimité peut se poser pour tout pouvoir politique, il se pose encore plus dans le contexte post-conflit. D’où l’importance des élections démocratiques et de la reconstruction de l’État dans une société qui a besoin elle-même d’être reconstruite .Cela commence par la réalisation cumulée d’une justice équitable et d’une réconciliation de ses membres.
Les élections dans la sortie de crise
Dans le contexte post-conflit les élections constituent un moment de parachèvement du processus de sortie de crise. Si leur régularité et leur transparence sont effectives en même temps qu’est acquise une mobilisation des populations, les élections permettent alors de
• construire, ou à tout le moins de mesurer la légitimité des acteurs politiques
• Reconstruire l’État avec de nouveaux acteurs porteurs de légitimité et éventuellement de changement.
Après l’épreuve de conflits meurtriers le Liberia et la Sierra Leone y sont parvenus et sont dans une phase où l’État, en dépit d’une persistance de fragilité, se reconstruit à partir d’un processus démocratique internationalement assisté.
Le dialogue politique dans la (ré-) construction de l’État :
En Côte d’ivoire aussi bien qu’en Guinée, au Togo et en Guinée Bissau. La classe politique, la société civile et la communauté internationale (à commencer par la CEDEAO et l’Union Africaine) convergent sur le rôle fondamental assigné au dialogue politique pour s’éloigner de la crise, construire la paix, la stabilité et la démocratie.
L’un des premiers objectifs de ce dialogue est d’atteindre un consensus durable des acteurs politiques et sociaux sur les règles du jeu politique, une consolidation de l’État de droit et des objectifs de paix et de développement.
Ce dialogue doit contribuer à une réelle démilitarisation du pouvoir d’État, des façons d’y accéder et de le conserver. Plusieurs pays sont concernés par ces objectifs et ont des modalités très diverses de matérialisation du dialogue politique qui revêt un caractère bidimensionnel. Il y a en effet d’un côté le dialogue avec la communauté internationale et de l’autre le dialogue interne des acteurs du pays
En Mauritanie ce deuxième volet a du mal à se concrétiser ; L’opposition regroupée au sein du Front National de défense de la démocratie n’a pas participé au forum national impulsé par le général Abdel Aziz avec une partie de la société civile et de l’opposition.
En Guinée nonobstant les bonnes dispositions manifestées pour le dialogue, le CNDD n’avait pas finalement permis la tenue en Mars 2009 du Forum des Forces vives de la nation regroupant l’essentiel des acteurs du pays dans leur diversité.. En Guinée Bissau ce dialogue reste à organiser sur des enjeux clefs relatifs à la justice, la vérité, la réconciliation et la réforme du secteur de sécurité.
Au Togo il y a un Cadre Permanent de Dialogue et de Concertation qui a des acquis importants malgré des blocages conjoncturels. L’exclusion politique a reculé comme en atteste l’intégration du parlement par l’UFC (Union des Forces du Changement), principal parti d’opposition. comme en Guinée Bissau le dialogue politique doit faciliter les objectifs de vérité , justice et réconciliation que le pouvoir d’État semble lui-même partager à présent .
Ces processus envisagés ou déjà enclenchés selon les pays ont un rôle majeur dans la refondation d’un État post-conflit ou post-crise libéré des lourds passifs sur plusieurs plans et progressivement réconciliés avec de larges secteurs de la société et de la classe politique qui ont figuré parmi ses victimes.
En Côte d’Ivoire le dialogue politique a débouché sur les Accords politiques de Ouagadougou signés entre les principaux protagonistes de la crise en Mars 2008. La dernière composante de ces accords (dits de Ouaga IV) affine une stratégie pour lever les obstacles liés au désarmement, à la réintégration et à l’unification des forces de défense et de sécurité ainsi que de l’administration du pays. Tous les acteurs en probable compétition pour le pouvoir politique n’en créditent pas moins l’État ivoirien désormais d’une d’autorité qu’ils lui ont déniée il y a à peine deux ans dans des contextes d’adversité tendue et de légitimité évanescente faute d’assemblée nationale renouvelée et d’élections présidentielles tenues ou en vue.
Le Président ivoirien issu du FPI (Front Patriotique Ivoirien) et son équipe bénéficient à présent d’une légitimité renouvelée par les Accords de Ouaga et leurs effets. Le partage des responsabilités gouvernementales avec les ennemis d’hier devenus partenaires dans la conduite de la réunification de l’État a déjà ipso facto élargi la base de celui-ci.
Le dialogue appuyé par la communauté internationale mais assumé directement par les principaux acteurs internes a largement dissipé la crise de légitimité du pouvoir et des risques conflictuels qu’elle comportait. Il y a eu des avancées en matière de levée des exclusions et dans la reconstruction de l’État, la réunification de son administration et la pacification du jeu politique.
Évolution sociopolitique et transformation des bases normatives de la légitimité
Des années 60 à la fin des années 80 la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest ont été caractérisés par des systèmes politiques fondés sur la reconnaissance d’un unique parti politique qui exerce de droit le pouvoir politique , structure et investit toutes les fonctions d’État.
C’est le phénomène des « Partis-États » se traduisant par des monopartismes exerçant un monopole sur la gestion du gouvernement, de l’administration et de la représentation parlementaire.
Des bouleversements sont intervenus dans les années 90. Ils se sont traduits par le développement du multipartisme et d’une diversité politique dans les représentations parlementaires et les collectivités locales.
Entre 1980-1990 il s’est produit des changements radicaux dans les bases normatives de la légitimité
Une cure d’autonomie financière prescrite par les politiques d’ajustement structurels des Institutions Financières Internationales s était ’accompagnée d’une dé-protection de l’économie et de l’espace public désormais ouverts à tous les acteurs en dehors des détenteurs directs du pouvoir. Le devoir de « bonne gouvernance » est exigé en même temps que la démocratie pluraliste.
Concomitamment à la dynamique démocratique ainsi enclenchée se développèrent progressivement des rébellions armées qui ont affecté la paix civile et/ou et la stabilité de 10 pays même quand elles restent de faible intensité (notamment dans les cas du Sénégal, Mali, Niger et puis Guinée Bissau).
Ces mouvements ont été des facteurs de mise en question et de fragilisation de la légitimité de l’État au plan local ou national et ouvrent la voie à des crises majeures. Celles-ci trouvent leur épilogue provisoire dans le renversement du pouvoir légal (Sierra Leone et Guinée Bissau en 1999).
L’érosion de la légitimité de l’État au plan local aggrave sa fragilité comme superstructure exposée au risque d’’inefficacité et, dans certains cas, d’autoritarisme dans les zones de conflit. L’érosion et l’atomisation de la base sociale des pouvoirs politiques en crise se compensent des fois négativement par leur contraction vers un socle ethniciste. Il en résulte un divorce aggravé de l’État avec de larges secteurs des populations. Les forces de défenses et de sécurité tendent à être essentiellement organisées sur cette base, principalement autour des populations fidélisées de l’ethnie du chef politique, tout en pouvant être appuyées par des forces alliées d’origine gouvernementale au niveau de pays limitrophes. La crise politico-militaire qui a affecté la Guinée Bissau en 1999 illustre parfaitement ce scénario. La rébellion finalement victorieuse du Général Mané défia la légalité du pouvoir du Président Viera en restant nantie d’une sorte de légitimité politico-historique qui s’enracinait dans l’imaginaire , les valeurs mais aussi les acteurs restés mobilisés anciens combattants du Mouvement de libération anticoloniale
Le State building est pour l’essentiel une question politique.
Le renforcement des capacités de l’État et sa consolidation ne sauraient se réduire à des questions techniques. Ils ne ressortissent pas d’une simple musculation institutionnelle et d’un renforcement (nécessaire) de l’expertise disponible.
Le renforcement de la légitimité peut certes venir d’un impact de nouvelles capacités acquises sur le résultat des politiques. Mais il doit d’abord procéder d’une implication des populations, d’un équilibre des priorités qui prenne en charge leurs intérêts, leurs avis et leurs propres capacités.
C’est à ce prix que la légitimité sociale peut faciliter ce que la seule légalité non comprise ni reconnue ne permettrait pas , notamment la restauration et le développement de l’autorité de l’Etat.et la mobilisation sociale pour relever les défis de paix , de sécurité et de développement .La légitimité peut donc être bien servie par une approche démocratique et participative de gouvernance . Celle –ci peut aussi capitaliser les capacités endogènes des populations et sociétés concernées
L’enracinement social et socioculturel de la gouvernance fait partie des modalités stratégiques de renforcement de l’État. Cela sert à la fois à améliorer la solidité de l’État, mais aussi l’efficacité des politiques.
Des instituts régionaux de recherche comme le CELHTO et de nombreuses initiatives académiques et de la société civile font aujourd’hui le plaidoyer pur une capitalisation des instruments endogènes de gouvernance à l’instar de la Charte de Kurukan Fuga ou Charte du Mandé
L’enjeu d’une dissémination et d’une réappropriation des modes et stratégies endogènes de gouvernance peut être d’opérationnaliser effectivement les approches de gouvernance internationalement servie en les contextualisant et leur donner une sorte de principe actif endogène. Face à des gouvernants indifférents à l’impératif de rendre compte, il peut être utile de procéder à un détour qui se matérialise par un retour aux valeurs de leurs propres cultures qui portent et expriment l’exigence de rendre compte. La mise en évidence et en œuvre de telles normes internes donnent aux citoyens force et motivation pour demander des comptes. La gouvernance n’apparaît pas à leurs yeux comme une simple affaire des bailleurs ne concernant que leurs rapports avec les autorités et structures en charge de la gestion de l’aide au développement.
L’intérêt actuellement porté dans la société civile et au niveau académique aux formes de gouvernance endogènes et passées peut être mieux compris .il convient en même temps de garder à l’esprit que de profondes transformations sociales , politiques , économiques et culturelles se sont produites au fil de l’histoire ce qui requiert de nouvelles approches et stratégies endogènes et exogènes .
La quête de légitimité doit servir d’incitation à la double construction nationale et démocratique
La (re)construction d’un État jouissant de la confiance des populations et à leur service, doit comprendre la légitimité comme une exigence ayant de multiples implications ; notamment l’enracinement dans les populations ,une gouvernance inclusive ,une volonté de répondre à la demande sociale, une régulation avec le moins de contrainte et le plus d’impartialité dans l’action ; l’objectif est que tous les acteurs reconnaissent dans l’État acceptent son autorité.
Les élections sont un moyen important de construction d’une légitimité politique, mais il arrive aussi souvent qu’elles soient détournées de leurs fonctions ou se déroulent sans régularité ou avec des exclusions qui entachent le respect du pluralisme, de la diversité et de la représentativité du corps social et politique.
Dans les conditions démographiques de l’Afrique de l’Ouest les élections, du reste fort importantes ne suffisent pas pour prendre en compte les tendances sociales. En effet dans une région où plus de 45% de la population à moins de 15 ans le corps électoral franchit difficilement les 50% de celle-ci . En plus les nombreuses élections organisées dans la région ont mis en évidence une tendance nette à l’érosion de la participation dans de nombreux pays avec une désaffection au niveau des élections législatives.
La consolidation de l’État dans les pays en situation post-conflit ne peut avoir d’impact durable si elle n’encourage pas fortement une approche de sa refondation effective sur des bases inclusives et démocratiques partagées par tous les acteurs. Sa réalisation dépend du niveau atteint par la volonté de changement dans l’ensemble de la classe politique. Le rôle de la société civile est important dans ce processus alors qu’elle reste encore fragile et demeure confrontée à la nécessité de son autonomie.
La refondation de l’État va de pair avec le renouvellement du leadership politique en Afrique de l’ouest où 75% de la population a moins de trente ans.
Relever le défi de l’intégration
Au moment où l’on parle d’intégration régionale et de gouvernance mondiale la construction nationale est laissée en rade et sans bilan, avec souvent le présupposé que les peuples de la région sont plutôt des ethnies discontinues et opposables les unes aux autres.
Le défi de l’intégration est multidimensionnel : politique, socioéconomique et socioculturel. Il concerne l’espace national, régional et mondial
La prise en compte des communautés, quand il en est question, est pensée comme une alternative à la construction nationale ou régionale. Les communautés locales peuvent être un cadre récipiendaire direct ou indirect de l’Aide, de la coopération horizontale.de localités et collectivités locales des pays du Nord. Toutes choses vraies et utiles .du reste. Mais pourquoi enfermer pour autant les peuples d’Afrique dans des réduits communautaires déconnectés de leur environnement régional et sous-régional, de leur large expansion transfrontalière et de leur appartenance historique et/ou potentielle à des ensembles plus vastes ?
Mais il demeure une équation non résolue : le non prise en compte de la diversité sociale et culturelle dans un ensemble étatique reconstruit ou renforcé, fait le lit des poussées identitaires.
Celles-ci génèrent des leaderships nantis d’une légitimité locale qui donne une force extraordinaire aux contestations de l’État ; Elles engendrent, dans certains cas une rébellion installée et ou entretenue.
Il faut donc inscrire la question de la légitimité dans un cadre global de reconstruction évitant ainsi des logiques segmentaires n’inscrivant pas le développement local dans un cadre national reconstruit avec un État refondé. Ce défi demeure avec toute son acuité malgré les progrès accompli dans la construction de la paix en Sierra Leone et au Liberia.
Il faut que la consolidation de l’État se fasse dans une approche préventive qui l’enracine dans la diversité des communautés et localités. Cela aide à éviter les déséquilibres générateurs de frustrations, de spoliation de défiances ethno-régionales et de conflits.
Á partir des années 1980 de nombreuses dissidences ou des rébellions se sont appuyé sur des brèches ouvertes par des déficits de démocratie, d’intégration et/ou d’équité dans la répartition des pouvoirs et des ressources. . Elles y ont trouvé leur origine, leur légitimation ou leur prétexte (auprès des populations locales notamment).
La reconstruction/consolidation de l’État se fait dans la prise en charge de défis qui ne sont pas simplement institutionnels
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Dans les pays qui ont pu réussir une sortie de crise, souvent assistés par la communauté internationale (à l’instar du Liberia et de la Sierra Leone), la nouvelle légitimité ne prend corps que si elle se construit à partir des leçons tirées de l’exclusion sous toutes ses formes. La construction de démocraties fondées sur une réunification sociale et nationale ainsi qu’une véritable séparation des pouvoirs permet d’instaurer un nouvel équilibre structurel susceptible de servir de base à une sortie durable de la fragilité étatique. Le renouvellement des acteurs peut s’avérer favorable à une telle issue. Elle doit se concrétiser par une meilleure inclusion des périphéries territoriales, sociales et politiques en état d’exclusion ou de marginalisation.
Ce fait demeure valable aussi bien pour la Côte d’ivoire que pour le Liberia entre autres.
La Guinée Bissau reste un problème et un défi post-conflit important .sa situation renseigne sur le fait que les élections même transparentes et démocratiques ne suffisent pas pour s’éloigner des crises.
Les dernières élections législatives du 16 Novembre 2008 n’en on pas moins fait avancer le processus de clarification politique en évitant au pays de trop dépendre de combinaisons parlementaires fragiles qui aggravent son instabilité. Elles ont en effet donné une très nette majorité au PAIGC (67 députés sur 100). Le Gouvernement ainsi pleine autorité pour assumer sa fonction de conduite des politiques sans pour autant pouvoir ipso facto se soustraire à l’autorité du Chef de l’État le Président Nino Viera. Cette nouvelle situation qui aduré jusqu’ à l’assassinat de ce dernier mettait en scène un véritable tiraillement entre un pôle gouvernemental nanti d’une légitimité fortement renouvelée et un chef de l’État dont l’autorité conférée par la loi a perdu toute assise sociale et politique. Il était depuis 1999 opposé au PAIGC dont il avait battu le candidat en 2005. Aux législatives de 2008 il a misé sur un parti qui n’a pu avoir aucun poids au parlement .
A côté de cette dyarchie de l’exécutif le pays a vécu de diverses manières les effets de l’inimitié que se vouait le chef de l’État et le chef d’État major de l’armée Tagme Nawaie.
Ils sont tous les deux morts assassinés sans qu’il puisse encore être établi qu’il s’agit là de la fin d’une crise. Il reste fondamental d’identifier toutes les raisons et tous les acteurs susceptibles d’être entraînés dans l’engrenage de vendetta politiques et ethniques, surtout si les contentieux ne sont pas vidés par toute la société au-delà des seules institutions.
Le pays va à nouveau vers des élections présidentielles. Sans préjuger de ses résultats on peut se poser la question de savoir ce qui serait mieux pour un État encore soumis à une très forte instabilité
La stabilisation requiert une réunification du pouvoir exécutif potentiellement écartelé par le caractère semi-parlementaire du régime. Un choix homogène des électeurs peut contribuer à régler ce type de problème en donnant la majorité parlementaire et présidentielle à une même force politique. Ceci prémunit au moins le pays de crises institutionnelles Mais si les élections sont fondamentales pour donner de la légitimité aux institutions, et à leurs leaders, il demeure que le principal problème du pays n’est pas institutionnel. La transformation de l’État bissau-guinéen doit passer par le règlement des passifs y compris au plan socioculturel ; elle passe aussi par par des réformes politiques (à commencer par le système de sécurité). Mais elle se traduira aussi et surtout par d’importants changements au niveau d’une société qui regarde souvent vers son passé parce que la forte pauvreté et les injustices subies et sédimentées ne donnent pas des yeux pour regarder vers l’avant.
En conclusion la question de savoir comment la légitimité peut contribué au renforcement de l’État dans les contextes post-conflit de l’Afrique de l’Ouest n’a pas de réponse univoque.
D’abord parce que la légitimité elle-même ne vient pas seulement de la légalité des institutions et de leurs pratiques. Elle prend aussi racine dans la reconnaissance et la satisfaction des ’intérêts des populations ou la manifestation d’un volontarisme dans la gestion de l’État au profit du plus grand nombre.
La légitimité est facilitée ou contrariée par les formes et modes de gouvernance. En capitalisant les stratégies endogènes de gestion des biens publics et de règlement des différends sociaux et politiques l’État peut gagner en légitimité en renforçant sa proximité avec les citoyens et les groupes socioculturels dans leur diversité.
Dans certains pays en sortie de crise , des acteurs arrivés au pouvoir par un putsch ou suite à un conflit armé arrivent à donner plus de légitimité à leur leadership en posant des actes qui rencontrent l’attente des citoyens et manifestent l’esprit de justice , de transparence et/ou d’équité. Mais c’est dans la durée que s’édifie la légitimité des leaders, elle subit par ce biais l’épreuve de vérité du temps L’enjeu fondamental de la légitimité pour l’État c’est la possibilité de conduire ses politique avec un assentiment et une adhésion de larges secteurs de la société. Cela induit leur participation volontaire à la reconstruction, la consolidation de la paix et aux actions de développement.