Le post-conflit au Zimbabwe, une étude de cas

Cloé MénardAndeea Noiret, novembre 2009

Mots-clés

  • Sortie de conflit
  • transition politique
  • légitimité
  • Zimbabwe

La crise politique qui a secoué le Zimbabwe pendant près de vingt ans, a pris cette année un nouveau tournant, avec l’instauration par le Président Robert Mugabe, d’un nouveau gouvernement de coalition. A l’origine du conflit politique zimbabwéen, une politique de redistribution des terres, lancée par Mugabe, dès l’indépendance du pays en 1979 (basée sur les Accords de Lancaster House). Les auteurs sont d’avis que malgré les difficultés que le gouvernement de coalition rencontre, le processus de paix semble avoir pris une tournure positive puisque des améliorations encourageantes ont eu lieu depuis son instauration. Néanmoins, le problème central reste la légitimité du pouvoir. Tant que cet aspect fondamental ne sera pas résolu, on ne pourra pas parler d’une transition durable vers une démocratie.

A plusieurs reprises contestées, les élections ne sont pas légitimes, puisque les représailles sont utilisées pour dissuader les partis opposants, les droits de l’Homme sont bafoués. Enfin, le trafic d’armes est encadré par le Gouvernement lui-même, fortement corrompu. De ces diverses politiques de redistribution des terres (1979, 1992, 2002), Robert Mugabe aura réussit à mener son pays vers une ruine économique, engendrée tout d’abord par la chute du secteur agricole, puis suivit de l’économie entière. Aujourd’hui, le pays est ruiné économiquement. On note une forte épidémie de choléra depuis ces deux dernières années, ainsi qu’une recrudescence du SIDA. Le taux de chômage de la population active est de 70%, avec un taux d’inflation officiel de 16 000%, en 2008(le taux d’inflation étant à revoir largement à la hausse).

Sous la pression de la communauté internationale et de l’Union africaine (dirigée par l’Afrique du sud, elle-même médiatrice dans ce conflit depuis de nombreuses années), Robert Mugabe a accepté en février 2009, de créer pour la première fois depuis l’indépendance du pays, un gouvernement de coalition, avec dans le rôle du Premier Ministre, Morgan Tsvangirai, opposant depuis toujours. Ce gouvernement de coalition peut aujourd’hui être considéré comme étant un premier pas vers un processus de paix au sein du pays. Cependant, ce processus rencontre différents obstacles :

 La réforme agraire lancée en 1979 à la naissance du Zimbabwe, est un problème à ce jour non résolu. Les expropriations non dédommagées des fermiers « blancs » ou britanniques ont été nombreuses, parfois violentes (2000, plusieurs meurtres ont eu lieu). La population noire qui a reçu ces terres n’est pas en mesure d’assurer la production agricole, causées par l’absence de connaissance et de moyens financiers.

 Un point particulièrement délicat est la définition du rôle de Morgan Tsvangirai. En effet, Morgan Tsvangirai occupe le poste de Premier Ministre, mais à ce jour, nous ne sommes pas en mesure d’évaluer le travail accomplit par son gouvernement.

 Enfin, ce processus de paix se heurte au Président lui-même. En effet, le Président Mugabe a attribué ce poste de Premier Ministre dans le but de mettre un terme aux pressions exercées par la communauté internationale et l’Union africaine. Il s’agit là d’une délégation de pouvoir avec un pouvoir très limité pour le Premier Ministre.

De récentes évolutions ont montré que le gouvernement de Morgan Tsvangirai travaillait sur une nouvelle Constitution. Il semblerait que ce dernier ait un soutient de la société civile limité. Le fait que Morgan Tsvangirai ait perdu du soutient auprès de la population pourrait sérieusement compromettre la transition démocratique actuellement opérée au Zimbabwe.

Dans les pages suivantes, nous essaierons d’analyser la dynamique du processus de paix, à savoir la mise en place du gouvernement de coalition et de répondre à cette question :

Dans quelle mesure, la création d’un gouvernement de coalition au Zimbabwe, peut mener le pays à une transition vers la démocratie ?

Pour tenter de répondre à cette question, nous verrons tout d’abord dans quel contexte le gouvernement de coalition s’est formé. Nous évoquerons ensuite la dynamique actuelle du processus de transition pour synthétiser dans une troisième partie les perspectives à long terme de ce changement politique. Enfin, nous formulerons dans la conclusion quelques recommandations vis-à-vis des développements possibles pour que le processus de transition emmène véritablement vers une démocratie durable.

1. Malgré l’instauration d’un gouvernement de coalition en 2009…

Le gouvernement de coalition mis en place par le Président Mugabe et son rival Morgan Tsvangirai, en février 2009, peut être aujourd’hui considéré comme une trêve au conflit politique qui secoue le pays depuis près de vingt ans. En effet, Mugabe a dirigé le pays sous la force et la violence pendant de longues années. Les partis politiques opposants, notamment le MDC, parti de Morgan Tsvangirai, ont subit des représailles, surtout en période électorale.

Plusieurs faits dans l’histoire de ce conflit, ont amené le gouvernement de coalition. Tout d’abord, essayons d’analyser le processus électoral du Zimbabwe. Robert Mugabe a été critiqué à plusieurs reprises (2002/2008) par la communauté internationale ainsi que par les partis de l’opposition, pour avoir truqué les élections. Le parti de Mugabe aurait en effet usé de la force et de la violence, pour dissuader son principal adversaire, de se présenter aux élections. Morgan Tsvangirai n’a donc pas eu, en 2002, accès à certaines provinces du pays, pour sa campagne électorale. C’est dans ce même climat de violence extrême qu’ont lieu les élections de 2008. Usant d’autant plus de violence contre les partisans de Morgan Tsvangirai, dirigeant du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), les élections ont fait scandales. En effet, lors du premier tour du scrutin, Morgan Tsvangirai était sorti vainqueur. La marge étroite de victoire de Morgan Tsvangirai ne suffisait pas à le proclamer vainqueur sans un second tour, en particulier au vu de la lenteur injustifiée qui a caractérisé la publication des résultats par la ZEC (Commission électorale du Zimbabwe), il a donc fallut programmer un second tour. La pression exercée par Mugabe sur le parti de l’opposition fut telle que Morgan Tsvangirai est allé jusqu’à annoncer son retrait des élections. Il restera finalement dans la course, mais échouera lors du second tour. Les réactions au sein du pays ainsi que par la Communauté internationale furent violentes, dénonçant Mugabe d’avoir une fois de plus truqué les résultats, demandant même à la Commission électorale du Zimbabwe de faire passer les résultats de Morgan Tsvangirai sous la barre des cinquante pourcents. C’est donc en juin 2008 que Mugabe retrouve les marches du palais présidentiel, asseyant sa légitimité sur des élections, visiblement truquées.

Ces manifestations de non-respect des droits humains, du cadre institutionnel, ont amené la communauté internationale à réagir vivement. La création de ce gouvernement de coalition a donc été impulsée par des acteurs externes : Union Européenne, Etats-Unis ainsi que l’Union africaine. En effet, l’Union Européenne impose au Chef de l’Etat zimbabwéen des restrictions telles qu’interdiction de séjour sur le territoire européen. De leur côté, les Etats-Unis et l’Union africaine exercent de fortes pressions sur Mugabe.

Le processus de paix est donc impulsé par des acteurs externes au pays. Regardons maintenant plus en détail quel mécanisme a été utilisé. Depuis plusieurs années, la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC- avec à sa tête le Président Sud Africain) joue un rôle de médiateur considérable au maintien du conflit. Mais ce rôle s’est accentué et surtout révélé efficace en septembre 2008, où les trois partis zimbabwéens (ZANU-PF ainsi que les deux factions du MDC – MDC-T, dirigé par Morgan Tsvangirai et MDC-M avec son leader Arthur Mutambara), se réunirent sous la présence de la SADC. Les trois partis signèrent un Pacte Politique Global (Global Political Agreement, GPA) ce qui conduit à la formation du gouvernement de coalition entre le ZANU-PF et les deux factions du MDC. La Constitution a également été modifiée en février 2009, pour permettre au Premier Ministre d’entrer en fonction et d’occuper le poste . Notons que toutes les parties en conflit étaient présentes à la table des négociations (pour le conflit politique).

La Communauté de développement d’Afrique australe a toujours endossé plus ou moins le rôle de médiateur dans la résolution du conflit zimbabwéen. Mais son action s’est révélée pleinement efficace ces deux dernières années, durant lesquelles elle a réussit à faire émerger l’idée d’un gouvernement de coalition chez Mugabe, puis d’aider à sa mise en place.

Aujourd’hui, il n’y a pas d’Accord de paix formelle signé par les parties. Mais le Pacte Politique Global signé en septembre 2008 est un premier pas vers une accalmie du conflit. Dix mois après le conflit, nous pouvons voir que le calme n’est pas vraiment revenu au Zimbabwe, avec des violences faites encore à Morgan Tsvangirai et à son gouvernement. Nous étudierons cet aspect en deuxième partie. Avant de nous pencher sur les obstacles rencontrés par ce gouvernement, nous pouvons étudier la question de la légitimité de ce gouvernement de coalition.

Qu’est-ce que la légitimité ? La légitimité repose sur une autorité qui est fondée sur des bases juridiques, sur des bases éthiques ou morales, et permet de recevoir le consentement des membres d’un groupe. Un pouvoir peut être exercé par un individu, un groupe ou une institution, du moment que ce pouvoir est reconnu et accepté. En revanche, il ne faut pas confondre légitimité, démocratie et élection.

Dans le cas du Zimbabwe, il y a eut certes, en 2008, des élections présidentielles, mais la légitimité est contestée. Rappelons que le premier tour des élections de 2008 avait été remporté par Morgan Tsvangirai, avec à peine plus de 50% des votes. Mugabe n’acceptant pas cette situation, a finalement réussi à faire basculer les pourcentages de son côté lors du deuxième scrutin. Si on admet le fait que les élections aient été truquées par le Président Mugabe, alors la légitimité de son pouvoir est remise en question. En revanche, si on étudie la légitimité du gouvernement de coalition, la situation diffère. En effet, le gouvernement de coalition a été sollicité par des acteurs externes, internationaux. Sa légitimité est reconnue par le gouvernement lui-même, les Etats-Unis, l’Union Européenne et l’Union Africaine. Sa légitimité ne peut être contestée.

Pour conclure, nous pouvons affirmer que le processus de paix initié au Zimbabwe a été sollicité par les acteurs externes, internationaux. D’autre part, ce processus de paix a pu voir le jour grâce au médiateur Sud-africain, et la Communauté de développement d’Afrique australe. La légitimité du gouvernement de coalition semble donc fondée.

2. …la légitimité du nouveau pouvoir politique n’est pas assurée

Les négociations sur la nouvelle constitution rencontrent de fortes oppositions

Après les élections de 2008, le gouvernement de coalition a commencé le processus de négociations sur la rédaction d’une nouvelle constitution qui devrait durer vingt mois à partir de 2009. Cette étape est fondamentale pour la reconstruction de l’Etat zimbabwéen, puisqu’elle devrait mettre les bases d’un nouvel Etat de droit, avec de nouvelles institutions et un nouveau système juridique. C’est pour cette raison que cette étape extrêmement importante a besoin du soutien et de l’accord de la population pour conduire à une constitution légitime. Pourtant, les négociations sur la nouvelle constitution rencontrent l’opposition de plus en plus forte de la part de la société civile et en particulier de la plus forte organisation de ce type, la NCA (the National Constitutional Assembly) . Les arguments principaux de cette virulente opposition est le manque de consultation civile sur la rédaction de la nouvelle constitution perçue comme peu démocratique et déficiente et deuxièmement le fait que la commission chargée de la rédaction n’est pas indépendante, mais composée de vingt-cinq parlementaires.

La nouvelle constitution devrait être soumise à un référendum en juillet 2010. Une fois l’acte fondamental approuvé, des nouvelles élections parlementaires, présidentielles et gouvernementales devraient avoir lieu. A l’horizon se profile pourtant un clivage entre le gouvernement de coalition et la société civile, en même temps qu’une délégitimation du parti de l’opposition qui, par le fait de boycotter des consultations avec les organisations de la société civile, comme ‘The Zimbabwe Students Union’, ‘The Crisis in Zimbabwe Coalition’ ou ‘The Zimbabwe Congress of Trade Unions’, pourtant auparavant alliés de Morgan Tsvangirai, a commencé de perdre le soutien duquel il bénéficiait parmi la population. De plus, selon ‘The Economist’ , ZANU-PF planifierait des élections surprises pour mars 2010 afin de bloquer toute adoption d’une nouvelle constitution qui pourrait lui imposer des limites de pouvoir et réglementer le processus d’élection.

Les institutions restent fragiles

A l’extrême fragilité générale de l’Etat zimbabwéen se rajoute l’état instable du gouvernement de coalition qui depuis sa création subit des bouleversements aberrants. Par le renvoi des ministres appartenants au MDC (le Mouvement pour le Changement Démocratique), Robert Mugabe continue de violer la lettre et l’esprit du Pacte Politique Global (Global Political Agreement GPA) et qui a conduit à la formation du gouvernement de coalition entre ZANU-PF et les deux factions du MDC ainsi qu’à la désignation des postes des ministres suite à des négociations. Cet unilatéralisme de ZANU-PF ainsi que la violation répétée des différents paragraphes stipulés dans l’Acte montre bel et bien son manque total de volonté politique dans le partage du pouvoir.

Le problème central du gouvernement de coalition se trouve pourtant dans le Pacte Politique Global lui-même. Celui-ci prévoit des pouvoirs substantiels et clairs pour Robert Mugabe et son parti, pendant que la majorité des pouvoirs alloués à Morgan Tsvangirai et au Conseil des Ministres (qu’il préside) reste ambigu. Un autre défaut majeur du Pacte est l’absence d’un cadre défini dans le temps prévu pour son instauration. Finalement, il stipule certes que le processus d’instauration doit être garanti par un médiateur (le président Jacob Zuma de l’Afrique du Sud), par l’Union Africaine et par la Communauté Sud-africaine de Développement (SADC), mais il ne mentionne aucune instance de surveillance ou de contrôle .

De plus, le contrôle des services de télécommunications (Tel One, Zim Post et Net One) par le parti de Mugabe ainsi que l’Acte d’Interception des Communications toujours en vigueur sont une atteinte directe à la démocratie. Ce fait perturbe encore plus la liberté d’expression et le fonctionnement institutionnel. Enfin, le fait que Robert Mugabe et ses ministres contrôlent entièrement l’armée, la police, les services secrets et la justice ne facilite pas le processus de transformation politique si attendu de la part du gouvernement de coalition. La réforme des institutions se heurte par conséquent aux vieux modes de gouvernance dictatoriaux.

Le secteur public n’assure pas ses fonctions

La fragilisation actuelle du pays est telle, que l’Etat est dans l’incapacité d’assurer les services de santé, d’éducation, d’assainissement, la construction d’infrastructures, etc. Ce fait s’explique entre autres par l’état économique désastreux qui prive le gouvernement de recettes fiscales, si nécessaires pour assurer les services de base de la population et par l’échec des autorités du régime de Mugabe qui, au lieu d’allouer un budget aux services sociaux, n’ont fait que dilapider l’infrastructure héritée de l’époque coloniale britannique. De plus, les aides humanitaires ont été soustraites de nombreuses fois dans le passé par les politiciens corrompus de Mugabe et les dirigeants de la ZANU-PF ont été accusés de maintes fois de se livrer à un marché noir de produits alimentaires et d’instrumentaliser ainsi sa propre population. Cette méfiance plane toujours sur le nouveau gouvernement et la suspension totale de l’aide est toujours possible en cas de nouveaux dérapages, au dépit de la population affamée et appauvrie.

Les services de santé, une fois considérées parmi les meilleurs en Afrique, se trouvent par conséquent dans en état effondré. Les quatre hôpitaux centraux du pays sont pratiquement fermés, pendant que d’autres centres de santé et cliniques fonctionnent à peine et l’approvisionnement en eau dans les zones urbaines n’est plus assuré. Les systèmes d’épuration d’eau et d’assainissement étant défaillants, cette situation a conduit à la déclaration de l’état d’urgence au Zimbabwe en décembre dernier suite à une épidémie de cholera. L’effondrement du système de santé n’est pourtant qu’un effet de l’effondrement économique dans lequel se trouve en ce moment le Zimbabwe, le pays avec l’inflation la plus élevée au monde et avec un taux de chômage qui atteint les 94%.

Les services publics sont assurés dans leur presque totalité par l’aide internationale, en rendant le pays totalement dépendant des agences internationales d’aide et des donateurs externes comme l’Union Européenne, la Grande Bretagne, l’Australie ou plus récemment les Etats-Unis en ce qui concerne la nourriture, les médicaments, l’eau propre et les services de santé de base. Par la suite, cette défaillance de l’Etat zimbabwéen d’assurer les services publics a conduit à sa délégitimation et a creusé la crise humanitaire et économique.

Le malaise du système d’enseignement est aussi un signe du déclin continu du pays. Les taxes élevées de scolarisation ainsi que l’état général dans lequel se trouvent les locaux ont eu comme résultat une nette baisse de taux de scolarisation et la fermeture en avril 2009 de l’Université de Zimbabwe à cause de problèmes financiers sévères. En plus, la fuite de personnel qualifié vers l’Afrique du Sud ne fait qu’aggraver la crise du système d’éducation et pose de sérieux problèmes quant à la formation des générations futures.

L’économie nationale peine à se relancer

La situation économique du pays est aujourd’hui très préoccupante (168 millions de dollars de déficit budgétaire en 1999, espérance de vie de 44 ans et mortalité infantile de 7%) s’est brutalement aggravée en un an. L’inflation a dépassé les 200 000%, les taux d’intérêts flirtent avec les 50%. Le dollar zimbabwéen est désormais quarante cinq fois inférieur à la monnaie américaine .

Malgré l’instauration du gouvernement de coalition, la situation reste difficile. L’utilisation du dollar américain et l’abandon de la monnaie locale ont permis de remplir de nouveau les rayons des supermarchés, et les hôpitaux et les établissements scolaires ont rouvert leurs portes. Ce qui est déjà un pas important vers une reprise de l’activité économique. Pour arriver à restaurer un minimum l’activité économique, le Zimbabwe a besoin de financements extérieurs, puisque ruiné il ne peut plus investir. Des centaines de millions de dollars de crédit ont d’ores et déjà été débloqués par la communauté internationale. La Banque mondiale a annoncé qu’elle donnerait 22 millions de dollars (16,3 millions d’euros) au Zimbabwe pour reconstruire son économie en déroute tandis que le Fonds monétaire international (FMI) a envoyé sur place des émissaires chargés d’établir un plan d’aide au pays.

Le Zimbabwe a également obtenu des crédits d’un montant de 450 millions de dollars de deux banques africaines (l’Afreximbank basée au Caire et la PTA Bank, dont le siège est à Nairobi) pour soutenir ses efforts. En revanche, l’aide américaine ne sera sans doute pas allouée; les USA craignant que l’aide soit détournée une nouvelle fois.

Autre problème, à l’origine de la déroute économique est la réforme agraire. En effet, le gouvernement de coalition avait annoncé vouloir régler le problème de la réforme agraire et des terres et des fermes appartenant à des Blancs. Or, à ce jour, rien n’a été fait pour résoudre ce problème. Les expropriations se sont arrêtées, mais aucune mesure n’a été prise pour contrer les conséquences des expropriations précédentes. Les Blancs restent privés de leurs terres, ils n’ont pas reçu la compensation financière promise tandis que les Noirs se trouvent avec des fermes qu’ils ne peuvent entretenir par manque de moyens matériels et financiers. La population place de grands espoirs dans le gouvernement pour régler ce conflit. Il s’agit là d’une des raisons pour lesquelles Morgan Tsvangirai a commencé à perdre le soutient de la population: les promesses ne sont pour le moment pas tenues.

L’insécurité persiste

La société zimbabwéenne est profondément fragilisée à cause de la guerre civile et du régime dictatorial qui la ronge depuis des décennies. Malgré le nouveau changement politique initié en 2008, le président continue de s’emparer des terres agricoles des fermiers blancs. Il refuse de chasser les squatteurs noirs armés qui occupent des fermes appartenant aux blancs et encourage leur invasion . Les milices fidèles à Mugabe continuent de faire des victimes parmi la population civile, rendant leurs conditions de vie difficiles et précaires. Même si leurs actions sont moins virulentes, les rebelles terrorisent la population civile pauvre qui est rançonnée et ainsi étouffée. L’Etat est défaillant en ce qui concerne la garantie de la sécurité et de l’ordre public. Par conséquent, la fragmentation de la société est accentuée par l’action des groupes armés fidèles à Mugabe. D’un autre côté, la population civile n’a plus aucune confiance dans tous les services d’ordre de l’Etat. Cette crise pourrait être résolue seulement si le nouveau gouvernement entamait une réforme du secteur de sécurité et s’il y avait un désarmement, démobilisation et réintégration des milices. Ce n’est que par cette démarche que l’armée et le gouvernement pourraient regagner la légitimité et la confiance de la population civile.

3. Quelles prévisions à long terme ?

On peut dire qu’actuellement au Zimbabwe, le partage de pouvoir ne semble pas opérer. Mugabe continue de nommer des amis proches à des postes clefs et maintien la pression sur les partis d’opposition (exemple – l’emprisonnement du ministre de l’agriculture Roy Benett, ce qui fait que les effets de la réforme agraire persistent). Même s’il s’agit bien d’un pouvoir dual, Morgan Tsvangirai ne représente pas un poids important face à la personnalité charismatique de Robert Mugabe. Il ne montre pas un réel leadership pourtant si nécessaire pour faire face à l’ancien dictateur et qui pourrait initier une vraie transition vers un régime démocratique. L’opposition qui est le contrepoids du pouvoir ne joue pas son rôle. Par peur de représailles elle se laisse entraîner dans le jeu de la majorité.

A l’heure actuelle Morgan Tsvangirai s’est retiré du pouvoir à cause des représailles faites à son parti MDC par les partisans du ZANU-PF. Par conséquent, le processus de transition reste bloqué. Les élections au sein du ZANU-PF annoncées pour décembre 2009, à l’occasion desquelles le successeur de Mugabe sera élu, pourraient fragiliser le parti de l’intérieur et offrir une chance de changement politique. Le futur semble emmener plutôt un statut quo : le ZANU-PF maintient le pouvoir de décision, pendant que l’Occident augmentera l’aide d’urgence. Le pays restera à long terme toujours dépendant majoritairement de la diaspora, ce qui favorise l’économie informelle.

Néanmoins, pour que ce changement se produise, il est nécessaire que non seulement la stabilité sociale soit atteinte mais aussi que la légitimité du gouvernement soit construite. Pour ce faire, la stabilité sociale peut passer que par des aides externes directes pour améliorer l’état de santé de la population. Concernant la légitimité du gouvernement, elle ne sera obtenu qu’à travers des élections justes et reconnues tant par la population que par les pouvoirs internationaux.

Les experts affirment que le chemin vers la normalisation de la situation s’annonce extrêmement difficile. Sans une expertise technique et des projets de développement, le Zimbabwe n’a aucune chance de sortir de la crise. Pourtant, pour l’instant, la priorité pour les bailleurs de fonds occidentaux reste l’aide humanitaire d’urgence. La récente vague des nationalisations menée par Mugabe (oct. 2009) décourage les investisseurs étrangers, pendant que les multinationales implantées au Zimbabwe ferment leurs filiales ce qui va à l’encontre des perspectives de développement à long terme.

Quels impacts anthropologiques ?

La situation dramatique actuelle dans le pays a des conséquences négatives aussi de point de vue anthropologique. Le démantèlement du secteur agricole a emmené la famine dans le pays et a provoqué des émeutes. Cette situation, ajoutée à l’hyperinflation et au fait que les milices toujours asservies à Mugabe continuent d’utiliser la force pour terroriser la population, conduit à l’instrumentalisation de la population qui, en manque de repères continue de voter pour Mugabe. Il s’agit là pour lui d’un véritable outil de contrôle. C’est notamment grâce à cette tactique qu’il a obtenu les votes nécessaires à ses multiples mandats. Ni les besoins physiologiques ni ceux de sécurité ne sont satisfaits pour l’instant et c’est là que l’aide extérieure doit intervenir pour que la reconstruction de la société puisse commencer.

En outre, la baisse de taux de scolarisation (fermeture d’écoles, d’universités, manque accru de professeurs et de personnel qualifié dû à la fuite des cerveaux, le gouvernement n’a plus d’argent pour investir, les infrastructures sont alors laissées à l’abandon) pèsera lourd sur le futur de la société zimbabwéenne. Les filles sont les plus touchées par l’analphabétisme, car la tradition veut qu’on envoie d’abord les garçons à l’école, pendant que les filles doivent se marier jeunes . Le risque est ici d’un renforcement de la société traditionaliste, d’un repli forcé par les facteurs extérieurs déjà mentionnés. Par ailleurs, l’analphabétisme qui progressera surtout parmi la population féminine aura pour effet d’augmenter la propagation du virus de SIDA au Zimbabwe (car nous savons que la maîtrise du virus passe par l’alphabétisation des filles) et une augmentation de la natalité ainsi que de la pauvreté et de la mortalité infantile. De cette façon il se crée un cercle vicieux avec des conséquences désastreuses.

La situation de crise aigue au Zimbabwe pourrait avoir d’autres effets encore plus graves sur l’ensemble des sociétés voisines, surtout si le processus de transition ne mène pas à une démocratie et qu’un nouveau conflit interne se déclanche. Déjà à l’heure actuelle il y a des migrations de la population zimbabwéenne vers les pays voisins. Cela pose un réel défi pour les gouvernements de ces pays puisqu’ il s’agit d’une population affamée, avec des graves problèmes de santé qui pose des problèmes liés au logement, aux coûts de soins médicaux, à la dissémination possible de la maladie de SIDA. En outre, ils doivent aussi prendre en compte les éventuels conflits entre les clans et ethnies, les problèmes potentiels liés à l’insertion des nouveaux immigrants et le taux de chômage en progression.

En dernier point, les conséquences sur le plan anthropologique, qui concernent la transition politique au Zimbabwe, regardent le conflit entre les noirs et les blancs qui perdure depuis des décennies et qui a été renforcé par le système dictatorial de Mugabe. Ce clivage extrême dans la société zimbabwéenne ne pourra être résolu sans initier une commission de paix et de réconciliation, qui pourrait jeter les nouvelles bases d’une société civile pacifique et apporter une paix durable.

Conclusion

A notre avis, malgré les difficultés que le gouvernement de coalition rencontre, le processus de paix semble avoir pris une tournure positive puisque des améliorations encourageantes ont eu lieu depuis son instauration. Néanmoins, le problème central reste la légitimité du pouvoir. Tant que cet aspect fondamental ne sera pas résolu, on ne pourra pas parler d’une transition durable vers une démocratie.

Plusieurs pas vers une amélioration visible de la situation pourraient avoir lieu :

  • concernant la constitution, une commission neutre qui représente la société civile serait à mettre en place ;

  • pour rétablir la cohésion sociale, la « Truth and Reconciliation Commission » devrait être instaurée.

  • la vraie réforme agraire devrait avoir lieu, sans être influencée par des modèles occidentaux. Les expropriations injustifiées sans compensation financière doivent s’arrêter pour permettre un maintien du secteur agricole, l’un des plus importants du pays.

  • pour rétablir le lien social, il serait nécessaire que les populations noires retrouvent un sentiment de sécurité. Pour que cela se produise il faudrait que les milices, rendent les armes et qu’une réforme de sécurité soit adoptée par le gouvernement.