Pourquoi y a-t-il une division entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne ?

Une analyse de Sarah Khalil

22 novembre 2012

Mots-clés

  • Afrique

Cette fiche a été réalisé par Sarah Khalil, étudiante à Grenoble Ecole de Commerce, dans le cadre du cours l’Afrique au delà des stéréotypes.

Bien souvent, l’Afrique du Nord est associée à l’Islam, aux arabes, à la modernité, au commerce des esclaves…etc. Ainsi, lorsque nous entendons parler d’Afrique, notre esprit nous renvoie de façon directe et inconsciente à l’image de l’Afrique noire. Or, le continent africain ne se limite pas à l’Afrique subsaharienne, l’Afrique du Nord en fait partie intégrante.

Entre les deux Afriques, nous retrouvons le Sahara. S’il représente une route ouverte qui devrait favoriser les échanges entre les pays et le partage de ce sentiment commun d’appartenance au continent africain, aujourd’hui, il existe une véritable barrière psychologique qui empêche l’intégration complète du Maghreb au continent. D’origine marocaine, j’ai constaté que les maghrébins s’identifient davantage en tant que méditerranéens ou arabes qu’en tant qu’africains. C’est pour comprendre ce manque d’identification et ce clivage entre les deux Afriques que j’ai choisi de traiter la question. Dans cette réflexion, nous essaierons de comprendre les raisons pour lesquelles il existe une scission entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne, une opposition entre l’Afrique blanche et l’Afrique noire.

En analysant la géographie du continent africain, on remarque que le Sahara divise le continent en deux parties. Ce qui pourrait expliquer le clivage entre les deux Afriques. En effet, le Sahara est considéré comme le plus grand désert au monde. Aridité, sécheresse, chaleur, vent et manque d’infrastructures peuvent constituer des obstacles et justifier la division géographique du continent. Cette division serait donc prédéterminée par un environnement naturel. Jaques J. Maquet, historien et anthropologue d’origine belge, développe dans une de ses études publiée en 1967, Africanité traditionnelle et moderne, la théorie selon laquelle la division entre le nord et le sud du continent s’explique par le manque d’échanges entre les deux parties. Il affirme que « l’on ne peut nier que la séparation de ces deux mondes soit nette et repose sur une tradition universelle bien établie » [1]. Pour lui, c’est parce qu’il n’y a pas d’espace commun d’échange entre les deux Afriques que le continent est divisé. Mais peut-on véritablement expliquer la division entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne par un manque d’échanges ? N’est-ce pas là une vision réductrice du clivage ? En effet, dire que le Sahara n’est pas une zone d’échanges reviendrait à nier l’existence même des tribus qui y vivent, des nomades qui font du commerce transsaharien leur source de vie, leur raison d’être. Depuis des siècles, le Sahara a représenté un carrefour d’échanges où les différents pays échangeaient leurs produits. Il ne s’agit pas d’une frontière mais d’une charnière. Des routes transsahariennes ont été tracées : il y a une route entre Aoudaghost et Fès, une autre entre Gao Tombouctou et le Mzab, et enfin une dernière entre Bilma et Tripoli [2]. Les pays d’Afrique du Nord commercialisaient de la laine, des dattes, des chevaux, des armes, des perles et des livres (ex : le Coran qui a permis l’expansion de l’Islam à l’Afrique subsaharienne). En retour, les pays subsahariens leur procuraient du sel, des esclaves, de l’or et de l’ivoire. Bernard Lugan, spécialiste en histoire, parlera de « l’âge d’or du Sahel » (du 8ème au 18ème siècle) pour désigner une époque qui a permis au pays du sud du Sahara de profiter du commerce et de s’enrichir. L’histoire montre donc que des échanges ont existé entre le Nord et le Sud du continent, le Sahara n’a jamais constitué une barrière physique en soi, mais plutôt une barrière psychologique.

Partant du constat que le désert n’explique pas véritablement le clivage de l’Afrique, nous allons essayer de comprendre cette scission en abordant une approche historique. Cheikh Anta Diop, historien, anthropologue et homme politique sénégalais, a développé la théorie d’égyptologie « afro-centrée ». Lorsque les africains vont revendiquer leur historicité, ils vont revendiquer leur appartenance à l’Egypte. Pour lui, l’Afrique est héritière de la civilisation égyptienne. La preuve de cet héritage est que les pharaons égyptiens étaient noirs. Ceci est probablement vrai pour les 22ème, 23ème, 24ème et 25ème pharaons, puisque l’on sait qu’ils étaient soudanais. Mais Cheikh Anta Diop va plus loin dans sa théorie. Il parle de Ramsès II et affirme qu’il était noir. Il postule que comme on ne peut pas déterminer sur une momie la couleur de la peau, alors on peut affirmer que la personne était noire. Cette théorie est très controversée car elle manque de preuves concrètes. Mais on peut dire qu’elle a le mérite d’avoir été élaborée pour nous aider à réfléchir sur la question et sur le sentiment d’appartenance à l’Afrique, un sentiment partagé de façon plus ou moins forte en fonction des pays. Si l’on reste sur cette logique historique, on se rend rapidement compte que les pays d’Afrique du Nord ont contribué au commerce des esclaves. Le noir a été acheté, vendu et humilié. Il ne pouvait être autre chose que serviteur. Il ne pouvait rien faire tout seul, il devait servir les autres. Cette image, chargée d’histoire et d’humiliation, à laquelle le noir renvoie pourrait expliquer le rejet des maghrébins de leur africanité.

Mais comment peut-on rester figé sur une telle image ? Comment, aujourd’hui, peut-on continuer à croire que l’homme noir est sous-performant ? Les pays maghrébins ne se seraient-ils pas volontairement enfermés dans une image figée de l’homme noir ? Pourquoi cette honte de revendiquer notre africanité ? Toutes ces questions me révoltent. J’ai l’impression que les systèmes maghrébins sont satisfaits de cette manière de fonctionner et de s’identifier, qu’il s’agit pour eux d’un moyen de contrôle des populations et de garantie de leur soumission. Le changement leur fait peur car de nombreux intérêts sont en jeu. Des intérêts politiques certes, mais également économiques. En effet, le maghrébin qui se sent africain est plus fort car il sait qu’il peut compter sur le soutien des autres pays africains. En connaissant l’histoire de son continent, en s’étant rendu compte de la complexité des relations qui lient les différents acteurs de l’économie africaine, il cernera davantage les enjeux de son pays et sera plus à même à revendiquer ses droits et à s’opposer à certaines décisions politiques. Pour que cette « révolution identitaire » puisse naitre, il faut investir dans une éducation. Cette éducation doit être complète et objective. Les pays africains, ici maghrébins, doivent accepter leur histoire pour pouvoir reconfigurer leurs sociétés. Une fois que l’on aura atteint cette phase, l’Etat maghrébin investira dans l’éducation car il la jugera nécessaire à la reconstitution de sa société, à l’intégration de sa double identité : son identité nationale et son identité africaine, qui le rendront plus fort. Ainsi, je pense que l’éducation des populations maghrébines aboutira à la revendication de leur africanité, puisque l’homme noir ne sera plus associé aux stéréotypes que l’on a vus auparavant. La division entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne peut donc s’expliquer par ce manque de transparence et d’information sur l’Afrique, ce manque d’éducation. Cette division est la conséquence de la fausse représentation de l’homme noir que les pays d’Afrique du Nord ont dessiné.

Aujourd’hui, d’un point de vue géopolitique, on peut considérer que les problèmes des pays du Sahel expliquent la coupure entre les deux Afriques. Pays pauvres à faible développement, ils se lancent dans le trafic de drogues pour améliorer leur situation économique. Ainsi, le trafic arrive d’Amérique du Sud, passe par l’Afrique de l’Ouest et le Sahel pour aller vers l’Europe. Autre ce problème national, les habitants subsahariens cherchent à fuir leurs pays pour retrouver un « eldorado ». Je vais prendre l’exemple du Maroc car c’est le pays qui connait le plus de flux migratoires puisqu’il est à la porte de l’Europe. Récemment, dans l’actualité marocaine, j’ai vu apparaitre un article très intrigant sur les clandestins subsahariens qui tentent la traversée vers l’Europe [3]. Le dossier s’intitulait « Le péril noir ». Si le titre peut choquer, le dossier reprend des faits réels, et évoque les différents problèmes créés par les immigrants subsahariens, qui faute de pouvoir traverser vers l’Europe, se retrouvent au Maroc, vivent dans des conditions difficiles et créent des tensions à l’intérieur du pays : précarité, vols, insécurité… Les problèmes économiques et migratoires des pays du Sahel sont donc sources de tensions et de fractures entre l’Afrique du nord et l’Afrique subsaharienne.

Ainsi, nous avons vu que la division entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne peut s’expliquer historiquement, socialement, culturellement et économiquement. A présent que l’on a identifié certaines explications à cette séparation des deux Afriques, nous pouvons nous poser la question suivante : que faut-il faire pour y remédier et avancer ? Je pense qu’avant que les pays d’Afrique du Nord n’envisagent leur intégration avec les pays subsahariens, il faudrait qu’ils créent une unité au sein de leur espace même, qu’ils aient une force interne qui leur permette de se prononcer en tant qu’espace unifié. Les révolutions arabes pourraient contribuer à cette unification. La reconstruction des systèmes, si elle se fait de façon transparente et démocratique, constituerait un grand pas en avant vers l’intégration de l’espace africain. L’investissement des pays nord africains dans l’éducation me semble également constituer un moyen indispensable à l’émergence d’une identité africaine, qui ne viendra pas remplacer pas mais enrichir l’identité nationale spécifique à chaque pays.

Aujourd’hui, avec les investissements de l’Europe, des Etats-Unis, de la Chine et du Brésil en Afrique subsaharienne, les pays d’Afrique du Nord se rendent compte des opportunités qui se présentent et du fort potentiel de l’Afrique noire. Ainsi, l’Afrique du Nord réalise qu’elle s’est trompée d’objectif. Désormais, il ne suffira plus d’être tournée vers l’Europe, vers l’Occident, mais il faudra regarder en dessous du Sahara, savoir coopérer avec les pays subsahariens, construire quelque chose ensemble, de stable et de durable. La coopération entre ces deux Afriques fera de l’Afrique de demain une Afrique plus forte et plus puissante !

Jacques Maquet, Africanity : The Cultural Unity of Black Africa, trad. Joan Rayfield (Oxford UnivPress, 1972)

Le dessous des cartes –le Sahara : www.wat.tv/video/afrique-sahara-dessous-cartes-ejyg_2g1eh_.html

Maroc Hebdo : www.maroc-hebdo.press.ma/index.php/component/content/article/54-derniers-minutes/4575-le-peril-noir (magazine hebdomadaire, n° du 02 au 08/11/2012)