Quelle vision ont les populations africaines des Européens ?

Une analyse de Catherine Carow

22 novembre 2012

Mots-clés

  • Afrique

Cette fiche a été réalisé par Catherine Carow, étudiante à Grenoble Ecole de Commerce, dans le cadre du cours l’Afrique au delà des stéréotypes.

A travers ce questionnement, j’ai voulu inverser la logique de « l’Afrique : au-delà des stéréotypes » afin de savoir si l’on pouvait appliquer cette idée dans l’autre sens ; c’est-à-dire savoir si la vision qu’ont les populations africaines des Européens est une vision stéréotypée ou non. Dans un premier temps, je me suis rendue compte de la difficulté de définir les populations africaines et européennes du fait des nombreux flux – réels et virtuels - qui existent entre ces deux continents. Puis on verra que les visions qu’ont les Africains des Européens sont multiples et ambivalentes. Enfin, j’aborderai les conséquences de ces visions sur les relations – diplomatiques, économiques… - qui existent entre les deux continents.

Définition des populations africaines et européennes

Lorsque j’ai commencé mes recherches sur ce sujet, je me suis rapidement aperçue que la définition même des populations africaines et européennes est complexe. Par exemple dans Black Bazar, Alain Mabanckou qui est originaire du Congo-Brazzaville et qui vit en France depuis 15 ans, adopte un « point de vue africain ». Est-ce notre nationalité qui détermine si nous sommes Africain ou Européen ? Cette problématique de l’appartenance est complexe à traiter, d’autant plus dans le cas de l’Afrique et de l’Europe où la couleur de peau entre également en jeu. En effet, très souvent au lieu d’évoquer des populations européennes ou bien des Africains, ce sont les « Blancs et les Noirs» qui sont mentionnés. On comprend alors facilement que cette différence implique déjà certaines visions : la sénégalaise Ken Bugul nous apprend dans sa nouvelle « La Femme du gouverneur », extrait de L’Europe, vues d’Afrique – Nouvelles, que dans sa culture le diable a la peau blanche (contrairement à l’Europe, où le diable est rouge ou… noir !). La différenciation entre Africain et Européen dépendrait-elle alors de la couleur de notre peau ?

Bien évidemment non, comme le prouve l’exemple de M. Hippocrate, un voisin du héros dans Black Bazar, qui malgré sa couleur de peau noire, est une commère, aigri et raciste. Ainsi cette problématique de l’appartenance doit se traiter sur le plan individuel et une généralisation à ce sujet serait prétentieuse. De plus les relations qui existent entre l’Afrique et l’Europe durent depuis des siècles, et le métissage a été important ; il y avait par exemple en 2009, 2 000 franco-gabonais au Gabon. Il faut donc garder en tête, tout au long de l’étude de cette problématique, cette variable qu’est le sentiment d’appartenance à tel ou tel continent/ pays. Si l’on cherche à être précis dans le traitement de cette question, il faut aussi voir dans quelle mesure les Africains ont conscience de l’Europe, en tant que continent ?

Il semblerait qu’il n’y ait pas de réelles distinctions entre les différents pays d’Europe et que l’amalgame se fasse souvent entre un Italien, un Français, un Allemand ou un Suédois. La conscience de l’Europe est alors réduite à un seul pays, bien souvent l’ancien colon. Ainsi, le malgache J-L. Raharimanana écrit dans sa nouvelle « Bas-Pays » : « La France nous a trop colonisés pour que l’on ait conscience de l’Europe. » A présent que j’ai posé ces nuances quant aux Africains et aux Européens, je peux alors évoquer le cœur de ma question qui concerne la vision qu’ont les Africains des Européens.

Des visions multiples et ambivalentes

J’ai ainsi pu mettre en évidence suite à diverses lectures de nombreuses visions qui semblent souvent antagonistes. Tout d’abord, j’évoquerai les visions positives de l’Europe et de ses populations. Pour les Africains, la vie est facile en Europe, c’est en quelques sortes la voie du Salut. Ceux qui n’ont qu’une vision lointaine de l’Europe y voient une sorte de lieu où tout est possible, d’Eldorado. En témoignent les mariages gris qui semblent de plus en plus nombreux. Il s’agit en fait d’un mariage apparemment d’amour où l’un des conjoints, étranger, disparait brutalement dès qu’il a obtenu la nationalité convoitée. Effet de mode ou réel fléau de société ? Je n’ai pas pu aller aussi loin dans mon analyse. Toujours est-il que les médias se sont grandement focalisés sur ce phénomène ces derniers mois. L’image qui est véhiculé de l’Europe est une image polie, civilisée, propre (« Allô » d’Aziz Chouaki) et riche. Cette idée de richesse transparait souvent dans les témoignages d’Africains, comme J.-L. Raharimanana qui concède: « J’ai toujours eu du mal à concevoir la misère du blanc. » Ces visions sont parfois elles-mêmes transmises par des Africains qui vivent en Europe et aident financièrement leur famille restée au pays. Ils préfèrent alors leur faire part d’une belle Europe, sans soucis, plutôt que de leur avouer la réalité de leur quotidien (Fatou Diome dans « L’homme de Barbès »). Enfin, une autre vision dominante par rapport aux Européens est leur beauté du fait de leur peau blanche : de nombreuses femmes africaines se dépigmentent la peau à l’aide de procédés parfois très dangereux (crèmes, laser…) et cela dans le but d’avoir la peau la plus claire possible.

D’autres éléments que j’ai pu recueillir sont davantage ambivalents dans l’interprétation que l’on peut en faire. Par exemple, les populations africaines perçoivent une sorte de « sorcellerie des blancs » qui s’est d’abord révélée du temps de la colonisation, lorsque les colons ont apporté leurs industries et leurs machines. Aujourd’hui encore, cette idée de sorcellerie persiste, notamment dans le football, où souvent les équipes nationales désignent des entraineurs européens, car alors ils auront davantage de chances de gagner. De plus, il faut savoir que nombre d’Africains n’ont jamais vu « pour de vrai » un Européen de leur vie. Et la seule image qu’ils ont de cette Europe est celle qui transparait à travers les représentations européennes qui se trouvent en Afrique : les entreprises internationales, comme les françaises Total ou Bolloré. Ainsi leurs visions de l’Europe vont découler des visions qu’ils ont des entreprises : employeurs exploiteurs ? Employeurs bienveillants ? Voleurs de terres ?

Et enfin, il y a des visions diabolisantes. Aminata Traoré dans son Afrique humiliée tend à décrire les anciens colons comme « euro-centristes, élitistes, racistes et faisant preuve de nombrilisme culturel. » Fama Diagne Sène la rejoint sur ce point dans sa nouvelle « L’heure des adieux » en déclarant à propos de la population européenne : « Elle est convaincue de la suprématie et de l’immortalité de sa civilisation face à toutes les autres, considérées comme barbares. » L’Européen serait donc un être orgueilleux et individualiste. La violence de ces visions peut choquer mais n’est-elle pas à la hauteur de la violence des relations qui ont pu exister entre les deux continents ? A ce stade, on comprend l’importance du passé et du vécu dans ces visions. Les relations entre les deux continents et les visions que nous avons les uns des autres sont étroitement liées. Ainsi les visions d’aujourd’hui découlent de nos actions d’hier et les relations de demain seront influencées par les visions actuelles ! On en revient presque au paradoxe de l’œuf et de la poule. Après les périodes de domination de l’Europe – l’esclavage, la colonisation – les relations entre l’Afrique et l’Europe sont-elles en train de se normaliser ? Ou bien sont-elles des expressions de néo-colonialisme ?

Conséquences sur les relations Afrique-Europe

Il est difficile de mettre en avant des grandes lignes quant aux conséquences de ces visions sur les relations entre les deux continents, du fait de leur multiplicité qui est elle-même liée aux volontés et ambitions variées qui existent au sein du continent noir.

De façon logique, Aminata Traoré voit ces relations d’un mauvais œil et considère l’Eurafrique  « comme une alternative néocoloniale aux indépendances et une tentative de légitimation de la présence européenne en Afrique ». Selon elle, l’Europe n’a pas de réelles bonnes intentions dans les échanges qu’elle peut entretenir avec l’Afrique, ce qu’elle justifie notamment par les politiques d’immigration injustes mises en place en Europe vis-à-vis des Africains. De la même façon Jean-Yves Ollivier, homme d’affaires français, qui travaille depuis de nombreuses années en Afrique, explique : « Les pays africains se défient d’une France avec laquelle ils ne sont souvent en contact que par l’entremise de marchands d’influence avides de gain ». Les Africains ont du mal à dépasser les rapports de force qui existaient dans le passé et à s’imposer. Si une alliance est mise en place avec la France, l’Afrique pense qu’elle sera forcément vassalisée. Les visions diabolisantes présentées plus-haut justifient tout à fait ces craintes.

Au contraire, les visions plus optimistes des Européens tendent à créer des relations où le rapport de force va jusqu’à être inversé. Dans le documentaire « Françafrique » de François-Xavier Verschave, diffusé en décembre 2010 sur France 2, on voit l’ancien président du Gabon, Omar Bongo - décédé en 2009 et remplacé depuis par son fils à la présidence du pays - être consulté par de nombreux politiques français qui souhaitent bénéficier de ses conseils éclairés. Ce renversement de force est-il si fort que le journaliste le prétend ? Peut-être pas, comme l’a démontré la polémique qui a suivi cette diffusion. Mais le simple fait que ce renversement soit envisagé prouve bien que les relations entre les deux continents ont connu des bouleversements, liées à l’évolution des visions des Européens.

De plus, on a pu constater en Afrique la multiplication d’ONG, de missions humanitaires, d’associations de toutes sortes - de la demande de parrainage d’enfants à l’aide de populations vis-à-vis de multinationales comme le fait ReAct. Ces actions peuvent être perçues comme une forme de néocolonialisme et être comparées aux actions des missionnaires catholiques au 18ème siècle. A nouveau, on en revient à des visions paternalistes des Européens. Dambisa Moyo a prouvé que les aides trop nombreuses ont été à l’origine des problèmes actuels de l’Afrique, mais cela signifie-t-il que toutes les formes d’aides doivent être rejetées ?

Finalement, j’ai le sentiment du fait de ces visions antagonistes et ambivalentes d’une relation « Haine/Amour » entre l’Europe et l’Afrique ; ce qui fait écho à la Géopolitique de l’émotion de Frédéric Moïsi. Et une émotion qu’il met en avant dans le cas de l’Afrique, c’est la peur ; la peur de délaisser le partenaire de toujours qu’est l’Europe. Que ce passera-t-il si l’Afrique privilégie d’autres partenaires, au détriment de l’Europe ? Cette crainte ressemble à celles que l’on rencontre au sein des « vieux couples », qui ont des habitudes dans leurs échanges, avec des protocoles bien installés (Mrs Foccart et Bourgi par exemple ont longtemps perpétué de vieilles habitudes françaises vis-à-vis de l’Afrique) mais où l’un des deux a de nouvelles opportunités et souhaite les explorer. De cette façon, l’Afrique ose s’ouvrir à la Chine.

En conclusion, j’ai constaté que les visions qu’ont les Africains des Européens sont souvent justes ou du moins justifiées, et j’ai le sentiment que les stéréotypes sont plus rares que dans l’autre sens. Cela est peut-être lié au fait que « ceux qui sont dominés ont l’obligation de mieux connaitre leur maitre » que l’inverse ?

Biblio- et webographie

COUAO-ZOTTI, Florent, RAHARIMANANA Jean-Luc, DIOP, Boubacar Boris, LAMKO, Koulsy, DIOME, Fatou, NGANANG, Patrice, MELLAL, Arezki, BUGUL, Ken, CHOUAKI, Aziz, DIAGNE SENE, Fama. L’Europe, vues d’Afrique – Nouvelles. Editions du Cavalier Bleu & Editions du Figuier, 2004.

MABANCKOU, Alain. Black Bazar. Seuil, 2009.

TRAORE, Aminata. L’Afrique humiliée. Hachette Pluriel Référence, 2011.

MOISI, Dominique. La géopolitique de l’émotion. Flammarion, 2011.

OLLIVIER, Jean-Yves. Les relations France-Afrique ne se limitent pas à la françafrique. www.atlantico.fr/decryptage/relations-france-afrique-ne-se-limitent-pas-francafrique-jean-yves-ollivier-513516.html

France 24. Ali Bongo pense avoir été « assez clair » sur la Françafrique. www.france24.com/fr/20120705-gabon-ali-bongo-suffisamment-clair-pretendue-affaire-francafrique-hollande-francois-conference-nationale

TANCREDE, Caroline. Mariage gris, attention à l’escroquerie sentimentale. www.femmeactuelle.fr/actu/dossiers-d-actualite/mariages-gris-escroquerie-01039