«Syngué Sabour: Pierre de patience» par l’écrivain afghan Atiq Rahimi

Sabrina Chebbi

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  • Afghanistan

L’histoire se déroule en Afghanistan, dans un contexte de guerre. Dans une pièce, un homme git, inconscient. Sa femme s’occupe de lui, elle lui parle. Au fur et à mesure de l’histoire, la femme se confie à son mari, lui dit des choses qu’elle n’a jamais osé lui dire. C’est alors que son homme devient sa pierre de patience (« syngué sabour »), une pierre à laquelle, selon les croyances perse, on expose ses tourments, ses malheurs, jusqu’à ce qu’elle explose, et que l’on se délivre de ses souffrances. La femme souhaite s’affranchir de ses tourments, des choses qu’elle a gardé pour elle pendant des années ; et au fur et à mesure qu’elle se confie, qu’elle se libère l’esprit, elle agit en fonction de sa volonté et exprime des désirs inassouvi.

Le rapport à la religion et au sacré

• Poids de la religion et des spiritualités

Nous pouvons constater dans cette histoire que la religion – ici l’Islam- est très ancrée dans la société et dans la vie des habitants. Au début de l’histoire la femme passe ton temps à remuer son chapelet en répétant des noms d’Allah pour que son mari puisse guérir, comme le mollah qui lui avait conseillé. Puis elle perd espoir et ne croie plus à la guérison par l’invocation des noms d’Allah. De plus, au fur et à mesure qu’elle se confie, qu’elle se laisse aller à sa propre volonté, elle doute et pense devenir folle, elle invoque alors Allah : exemple p.131 « Allah, tu es le seul qui peut éloigner la démone : Al-Mou’akhir, Al-Mou’akhir ».

Dans la société Afghane ou la religion islamique est la religion d’Etat, la religion régit les activités au quotidien de la population, les tabous sont nombreux : en ce qui concerne l’amour, le sexe, les relations homme/femme par exemple.

Cet aspect est vraiment différent de la société dans laquelle nous vivons, où le rapport à la religion est moindre.

Cet aspect de la culture afghane est commun à la culture Algérienne, où l’Islam est aussi la religion d’Etat et j’ai pu constater les répercussions qu’elle peut avoir sur la société, surtout au niveau des relations homme/femme ainsi que la vie de tous les jours ; bien qu’en Afghanistan ce soit à un tout autre degré.

Cela me fait penser à un épisode de ma vie : lorsque je suis rentrée en Algérie un été quand j’était petite, ma famille voulait m’emmener voir un « sage religieux » qui guérissait les maux, et qui pouvait, selon eux, me retirer les démons que j’avais en moi – jeune, j’étais assez nerveuse et énergique, ce que ma famille interprétait comme la présence d’un démon en moi – ma tante m’a donc emmené voir le sage qui a proféré des paroles au dessus de ma tête, surement des versets du Coran ; et ils était tous convaincu qu’il avait retiré le démon en moi ! Je dois avouer que cet épisode m’a bien fait rire, mais au-delà de ça nous pouvons voir ici la présence très importante des spiritualités chez la société musulmane. Il y a tout un tas de significations religieuses qui régissent la vie des musulmans.

Interprétation de la souffrance : elle est aussi liée à la religion, lorsqu’une personne souffre d’un mal, on dit que c’est Dieu qui la punit car elle aurait commis une erreur, ou bien que c’est une espèce d’épreuve que Dieu nous afflige. Il est difficile de dire si dans la société française les gens pensent différemment, cela dépend de l’appartenance religieuse des personnes, mais dans tous les cas, le rapport à la religion, l’importance qu’elle a dans la vie de tous les jours, est bien moindre. Mais dans une société islamique, la notion de punition, de présence d’un être suprême qui nous surveille, qui est présent à chaque instant et qui nous oblige à avoir une certaine conduite est quelque chose de bien présent dans la société. Cela peut se vérifier dans le comportement de la femme : lorsqu’elle insulte son mari, elle se repenti est invoque son Dieu. Elle le prie de bien vouloir lui pardonner. Comme si elle avait du mal à assumer ses faits et gestes, puisque c’est la première fois qu’elle se libère.

Rapport aux vivants et les relations humaines

• Rapport à l’affectif et influence des questions de genre dans la vie sociale

Dans la société afghane, le mariage est davantage vu comme une obligation, la femme n’existe que par son mari, exemple p.80 : « J’ai tout fait pour que tu me gardes. Non pas uniquement parce que je t’aimais, mais pour que tu ne m’abandonnes pas. Sans toi, je n’avais plus personne. J’aurais été bannie par tout le monde ». Nous pouvons constater ici la pression subie par la femme et la dépendance par rapport au mari.

La conception de l’amour est quelque chose de très différent que nous pouvons remarquer dans se roman, il y a en effet très peu de place pour l’expression des sentiments, de l’affectif. Les rapports homme/femme sont codifiés par des règles très strictes. Les mariages sont arrangés, ici la femme a du attendre trois ans avant de rencontrer son mari. La relation de couple est tout autre, la notion d’échange, de partage des sentiments, d’affection que nous vivons et à laquelle nous assimilons une relation de couple est ici inexistante.

C’est lorsque son mari est inconscient qu’elle va lui raconter ce qu’elle veut partager avec lui, on se rend compte qu’il y a une volonté de la part de cette femme de partager des choses, des moments de son enfance en particulier qui sont restés enfouis en elle et qu’elle a du garder. C’est en se confiant qu’elle se sent proche de son mari : « Comme c’est étrange ! Je ne me suis jamais sentie aussi proche de toi qu’en ce moment. Ca fait dix ans que nous nous sommes mariés […] et c’est seulement depuis trois semaines qu’enfin je partage quelque chose avec toi. » p.82.

C’est une chose très difficile à analyser car la perception de l’amour est propre à chaque être humain, nous nous exprimons tous très différemment. Mais le fait de partager des moments, des souvenirs, des émotions, de l’affection, est je pense à la base de toute relation amoureuse. Nous nous rendons compte qu’il y a un certain manque de la part de la femme, qui se laisse aller à ses envies lorsque son mari est inconscient. Elle le touche, l’embrasse, chose qu’elle ne pouvait pas faire avant.

Rapport à l’autorité, au pouvoir, aux normes, aux statuts sociaux

• Sources de légitimité dans l’espace public

Etant donné qu’il s’agit d’une société islamique, les sources de légitimité sont les représentants de la religion, ici nous pouvons constater une présence importante du mollah, au début c’est lui qui explique à la femme comment guérir le mari en utilisant la religion. Les prêches durant l’appel à la prière sont quotidiens, depuis le minaret, le mollah prêche la bonne conduite.

Il est intéressant de voir la vision qu’a la femme du mollah : « Et lorsque j’arriverai au soixante-douzième tour, ce crétin de mollah viendra te rendre visite et, comme toujours, me fera des reproches, parce que, dira-t-il, je ne me suis pas bien occupée de toi, je n’ai pas suivi ses instructions, j’ai négligée les prières…Sinon tu guérirais ! ». Pour elle, le mollah n’est pas légitime. C’est peut être ce contexte de guerre qui fait qu’elle ne croit plus au mollah et qu’elle n’arrive plus à accepter certaine caractéristiques de sa société.

Source d’honneur : la femme

A plusieurs reprise la notion d’honneur est évoqué, elle fait référence à la femme : « Ils devaient s’occuper de tes enfants, de moi – de ton honneur, de leur honneur – non ? » p.28, d’autres passages font référence à la virginité de la femme, qui représente une fierté pour l’homme. Cet aspect est très complexe et caractéristique des sociétés musulmane. La femme n’a de valeur pour l’homme que si elle est vierge. La virginité représente l’honneur d’une femme, si elle n’est plus vierge en conséquent, elle n’a plus d’honneur. C’est une chose que j’ai du mal à comprendre et à accepter : comment l’honneur d’une personne peut elle être lié à sa virginité ? Nous voici face à un aspect interculturel très particulier.

 

 

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Dans ce contexte de guerre, la femme exprime sa colère, ses sentiments et désirs inassouvis, ses ressentiments envers son époux qu’elle avait gardé en elle depuis toujours. Elle se libère de ses tourments et se laisse aller à sa propre volonté. Au-delà des questions religieuses ou autres, Atiq Rahimi nous fait vivre une ode à la liberté et à l’amour, en nous faisant partager la souffrance de cette femme.