«Terre et cendres» se déroule en Afghanistan, écrit par Atiq Rahimi

Marina Miollany

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Ayant déjà remporté le prix Goncourt en 2008 pour Syngué Sabour, Atiq Rahimi, auteur afghan, fait de nouveau renaître son pays natal sous sa plume dans son dernier ouvrage, Terre et cendres.

Chaque personne va avoir un ressenti différent de chaque expérience interculturelle. Dès lors que nous partons dans un pays étranger, nos réactions, nos étonnements, nos réflexes… tout dépendra de notre vision du monde et de nos propres valeurs, souvent elles-mêmes liées à notre culture. Les réactions face au changement culturel est donc quelque chose de très subjectif, mais auquel il faut être préparé si l’on projette de travailler dans un environnement multiculturel ou tout simplement différent du nôtre.

Terre et cendres est un condensé de la culture afghane : traditions, histoire, religion… Le travail qui suit reflète les pensées que j’ai pu avoir à la lecture de Terre et cendres et le rapport à la culture, c’est à dire quels sont selon moi les traits culturels significatifs qui ressortent du livre et dans quelle mesure pourraient-ils affecter mon travail sur le terrain ?

La communauté…

« Tout notre village est réduit en poussière »

Dans l’ouvrage Terre et cendres, Dastaguir, le personnage principal fait sans cesse référence à son village, dont le nom lui-même est utilisé à la suite de son prénom, comme signe distinctif. Il se présente donc comme étant « Dastaguir d’Abqul ». Alors que Dastaguir vient de perdre toute sa famille, sauf son petit fils, il parle pourtant certaines fois à la première personne du pluriel : « nous avons tout perdu… notre village est anéanti… » La communauté dans laquelle habitait Dastaguir semblait représenter un piler.

Je pense que les coutumes de fonctionnement des sociétés sont absolument à prendre en compte si l’on est amené à travailler avec ou en lien avec des communautés locales, comme en Afghanistan par exemple. J’imagine que la communauté (ou village) est elle-même organisée selon certaines normes, qu’il faut veiller à respecter. Par exemple, les étapes à ne pas manquer, travailler en gardant à l’esprit les fonctionnements des sociétés dans le pays etc.

La famille, le fils, le respect…

Tout au long du récit, l’auteur fait référence au noyau familial. La famille est certes importante et l’on peut remarquer que la quasi-totalité des membres vit sous le même toit. Dastaguir partageait sa maison avec un de ses fils ainsi que sa femme et ses enfants. Il y avait aussi la femme et le fils de son deuxième fils, Mourad. Mourad avait confié sa propre famille à son père, pour partir travailler à la mine.

« Quatre années qu’il t’a confié sa jeune femme et son fils et a rejoint

la mine pour gagner sa vie. »

Le respect de Dastaguir pour Mourad, son fils, est très fort. Parfois, il y a presque une inversion des rôles père/fils. Dastaguir semble être profondément touché par le fait qu’il doit annoncer à Mourad la catastrophe qui a eu lieu dans le village. Dastaguir est partagé entre la nécessité de dire la vérité à Mourad et l’envie de lui mentir, dans le but de le préserver de la tristesse et de ce que cela pourrait engendrer.

« Je donnerais tous mes foulards pour la vie de mon fils »

Finalement, à la fin du livre, Dastaguir se rend à la mine pour apprendre à son fils que toute la famille a péri. Lorsque Dastaguir apprend que Mourad était au courant, tout semble s’effondrer autour de lui. Comment expliquer que son propre fils ne se soit pas rendu sur place ? Dastaguir arrive même à se demander si Mourad, le Mourad dont il était si fier, était son propre fils.

Peut-être que pour une personne étrangère qui arrive dans une communauté, le fait de ne pas avoir sa famille avec soi peut influencer son intégration dans la vie quotidienne. La famille est dans ce cas perçue comme une sorte de référence pour les habitants de la communauté.

Une personne expatriée doit aussi être consciente que la famille est très importante aux yeux de tous. Par exemple, les gens de la communauté peuvent peut-être se vexer si l’on s’adresse à eux, sans même demander comment les membres de sa famille se portent. Il s’agit dans ce cas de coutumes locales quotidiennes que l’expatrié doit veiller à respecter s’il souhaite s’intégrer dans la communauté.

Le passé historique & la notion de violence…

« Un camion militaire arborant une étoile rouge sur sa portière

traverse le pont… Un homme en uniforme militaire s’approche. »

La sécurité est un problème important dans de nombreux pays en conflit ou tout simplement en situation économique difficile. L’insécurité n’est pas un trait culturel à proprement parlé, mais dans le livre, certains détails démontrent une sorte de conscience commune qu’ont les Afghans par rapport à cette « violence quotidienne ». Il est aussi important de remettre le livre dans son contexte, c’est-à-dire dans un Afghanistan meurtri par la guerre contre l’Union soviétique.

« Comme si tu ne vivais plus que pour ces souvenirs et ces images. Les souvenirs et les images de ce que tu as vécu et que tu aurais voulu ne pas vivre ; peut-être aussi la vision de ce qui t’attend encore… »

Travailler dans un pays qui a été occupé ou envahi implique une certaine prise de conscience de la part de la personne expatriée. Même si l’on a appris l’histoire du pays, il y a forcément un décalage entre la population locale et la personne étrangère. Peut-être que l’évaluation des besoins des populations locales sera d’ailleurs plus difficile à définir, car l’étranger ne peut se mettre à la place des habitants. Dans un contexte professionnel, il faut aussi bien mesurer les facteurs d’instabilité et d’insécurité tant pour les projets menés que pour le personnel.

Le poids de la religion & la place de la femme…

« Lâ Hawl » (seul Dieu e le pouvoir de juger)

Les références à l’Islam, sont présentes tout au long du récit. J’ai été étonnée sur l’image qui en ressort. Je m’attendais à une perception d’une religion assez stricte. L’auteur la décrit plutôt comme une religion « mystique », inspirée peut–être des religions hindouistes ou bouddhistes venant d’Inde.

« Tu entends la voix de la mère de Mourad, les paroles qu’elle prononçait quotidiennement »

Dans Terre et cendres, la femme est présente tout au long du livre. Dastaguir a perdu la sienne lors des bombardements, ainsi que la femme de son fils Mourad. Il est en quelques sortes hanté par leurs fantômes. Dastaguir explique que lors des bombardements, sa bru était au Hammam. Il l’a vu sortir, en courant, prise au piège par les flammes. Dastaguir a été profondément marqué par le fait de la voir découverte, totalement nue.

« En chemin, j’ai vu la mère de Yassin. Elle courait entièrement nue…

Mais ma bru… Si j’avais pu perdre mes yeux et ne pas la voir dans un tel déshonneur. »

On parle souvent de la place de la femme dans l’Islam. Etre une femme occidentale et travailler dans un pays dans lequel la religion est très rigide ne doit pas être facile. Dans ce récit, je n’ai jamais ressenti aucun rabaissement de valeur de la femme par rapport à l’homme. Bien que les hommes soient les personnages vivants de l’histoire, les femmes, mortes pendant le bombardement, sont elles aussi présentes.

En tant que femme expatriée, travaillant dans un pays musulman, il faut probablement se poser les bonnes questions. Comment s’adresser aux hommes ? Comment s’adresser aux femmes ? En effet, dans certains cas, la femme occidentale peut-être perçue différemment par les femmes locales, comme une sorte de troisième sexe.

L’âge et le respect

« Vénérable père… Tu es un homme de cœur.

Que tes ancêtres reposent en paix »

Le respect entre les personnes et principalement envers une personne âgée est très marqué tout au long du livre. La communication orale semble être importante et plus particulièrement la façon dont on s’adresse aux gens.

Si l’on est amené à gérer une équipe d’employés locaux, il faut dans ce cas aussi veiller à la manière dont on s’adresse aux personnes. Par exemple, si l’expatrié est jeune, le fait de donner des ordres à des employés locaux plus âgés peut-être mal vécu, tout comme le fait qu’au niveau hiérarchique, le plus jeune soit en haut.

La notion de temps…

« La voiture passe toujours vers 14 heures. Tu as deux heures devant toi… Le passage des voitures est aléatoire ».

La ponctualité ne semble pas avoir la même signification en Afghanistan qu’en France. Pratiquement tout le récit se déroule pendant que Dastaguir attend une voiture pour l’emmener à la mine, soit environ trois ou quatre heures. Dans ce livre, nous ne pouvons pas réellement savoir s’il s’agit d’un trait culturel. Ceci est peut-être dû au fait qu’aucun service n’existe dans le pays.

Cependant, la notion de temps ou la perception du temps peut créer un décalage très important entre personnes d’une culture différente. Ceci est absolument à prendre en compte par la personne expatriée car elle peut penser qu’il s’agit d’impolitesse ou de manque de motivation.

La notion de justice…

« L’abject fils de ton voisin avait fait des avances à l’épouse de ton fils, Mourad. Armé d’une pelle, Mourad s’était précipité chez lui et lui avait fendu le crâne. »

Comment, culturellement, les habitants sont-ils habitués à régler les conflits ? Dans Terre et cendres, Atiq Rahimi semble démontrer que la notion de justice n’a pas vraiment de valeur. Elle est plutôt remplacée par la notion de vengeance.

Réfléchir à la question de la gestion des conflits au sein d’une équipe est donc un élément important avant le départ. Comment seront-nous amenés à gérer et résoudre les conflits professionnels dans un contexte culturel ? Cela dépend aussi des coutumes et traditions du pays en question. Evidemment, si les habitants on l’habitude de régler les désaccords par la force, cela ne signifie pas qu’il faudra se plier aux pratiques locales.

* * *

Finalement, de nos jours, la mondialisation efface petit à petit les frontières qui séparent les sociétés. Pourtant, les appartenances culturelles ne semblent jamais avoir été aussi fortes et marquées. Relativisme, tolérance et diplomatie sont peut-être les mots à garder à l’esprit en allant travailler dans un environnement multiculturel. La communication entre toutes les personnes est aussi très importante, cela pour éviter tous malentendus.

La rencontre de cultures opposées peut dans certains cas créer des désaccords, des incompréhensions, des frustrations voire de réels conflits. Mais je suis persuadée que cette rencontre peut apporter beaucoup plus d’éléments positifs que de négatifs : il s’agit d’une réelle richesse de l’humanité.