André Brink about apartheid South Africa in “A Dry white season”

Sylvaine Petit, Mars 2010

Mots-clés

  • Afrique du Sud

«  Je voulais aider. Bien. J’étais tout à fait sincère. Mais je voulais le faire à ma façon. Et je suis blanc; ils sont noirs. Je croyais qu’il était possible de transcender notre « blancheur » et notre « noirceur ». Je croyais que tendre la main et toucher l’autre par-dessus l’abîme suffirait. Mais j’ai saisi si peu de chose, comme si les bonnes intentions pouvaient tout résoudre. C’était présomptueux de ma part. Dans un monde ordinaire, dans un monde naturel, j’aurais pu réussir. Pas dans cette époque dérangée, divisée. Je peux me mettre à leur place; je peux éprouver leurs souffrances. Mais je ne peux pas vivre leur vie à leur place. Que pouvait-il sortir de tout ça, sinon l’échec? »

L’histoire est la suivante : Un noir (Gordon) meurt en prison, alors qu’il cherchait à découvrir la vérité sur la mort de son propre fils (Jeremy). Un de ses ami blanc (Ben du Toit) cherche à son tour à découvrir la vérité sur la mort de Gordon. Comme résultat de l’enquête il découvre la réalité politique de son pays sur laquelle il fermait jusqu’à présent les yeux.

C’est donc l’histoire d’un blanc, plus précisement un Afrikaner, qui découvre la vérité sur son pays. Le héros se fait entraîner dans un engrenage de plus en plus dangereux et qui lui revèle de plus en plus de choses. La police, son entourage, et même sa propre famille cherchent à le dissuader. Il est ensuite persecuté subtilement puis violemment, traqué jusqu’à l’étouffement, poursuivi, pourchassé, condamné à l’isolement organisé et démoralisant, et enfin exécuté.

Le personnage principal découvre l’injustice.

a) De l’ignorance à la découverte de l’injustice

Le parcours du personnage principal est long avant qu’il se rende compte de ce qui se passe réellement dans la société dans laquelle il vit et pour qu’il se rende compte que le système est injuste. Il triomphe contre l’ignorance petit à petit. On suit tout au long du livre l’évolution de sa mentalité, et de son point de vue sur le clivage entre noirs et blancs. Au début il est victime de cet aveuglement un peu naif, ou même peut être un peu cynique. On peut faire ici un parrallèle avec l’allemagne nazie et sa population civile qui affirmait ne pas être au courant des camps de concentration et de l’extermination des juifs. D’ailleurs, un des personnage fait ce parallèle page 232. Il dit

« je suis parti de l’Allemagne en 38 parce que je ne pouvais plus supporter tout ça, et maintenant je vois la même chose se produire dans mon propre pays »

Puis Ben du Toit découvre progressivement l’horreur du système. On a l’impression que c’est l’experience de l’écrivain qui est transposé dans ce trait de caractère du héros (André Brink est effectivement Afrikaner, et il s’est révolté contre le système de l’apartheid).

Le héros se rend compte peu à peu que le monde sud-africain n’est pas le monde équilibré qu’il croyait être jusqu’à présent. Amené à ouvrir les yeux, Ben découvre « l’autre ». Dans ce monde d’exclusion il ne sait plus qui est « l’autre » et qui sont « les siens ».

Il explique Page 202 que jusqu’à présent il faisait une distinction entre « ses frères » , qui sont les blancs ayant la même religion que lui, allant à la même école, ayant la même langue, le même Dieu, la même histoire. Et de l’autre côté étaient « les autres », c’est à dire les Juifs, les Anglais. Et les noirs. Ces derniers étaient à son service. Il dit :

« c’était une division confortable et pratique. Il était normal que les gens ne se mélangent pas.(…) mais brusquement rien ne va plus. Quelque chose à irrévocablement changé. (…) Qui sont mes frères aujourd’hui ? ».

La barrière entre « les siens » et « les autres » était très stable, jusqu’à ce qu’il commence à la remettre en question. Il se rend compte que ce qui le sépare des « autres » est une barrière très fine. Une séparation mentale qui est concrétisée par l’apartheid. L’apartheid rend cette séparation et cette exclusion justifiées. Page 200 il explique :

« tout ce qu’on avait l’habitude de prendre pour argent comptant se revèle n’être que pure illusion ».

Cette révolution interieure du personnage est décrite tout au long

du texte. Le personnage va de l’ignorance à la culpabilité :

  • « comment pouvons nous être tenus pour responsables ? »

  • «Il se peut que nous n’ayons rien fait de spécifique. Peut être est-ce quelque chose que nous n’avons pas fait. Quelque chose que nous avons négligé de faire (…) quand nous avons joué aux aveugles parce que c’était « nos frères » qui commettaient ces crimes »

Puis il pensait aussi que la justice pouvait être juste, mais il découvre et nous fait découvrir l’injustice gouvernementale. Lorsqu’il sort du jugement officiel de Gordon, lequel jugement à été complètement truqué et manipulé pour que la vérité ne se sache pas, Mélanie (son amie journaliste) lui affirme :

« ils ne peuvent pas reconnaître qu’il ont tort » , et lui répond : « qu’elle est l’utilité d’un système ou il n’y a plus de place pour la justice ? » (page 153)

Sa révolte nous révolte ; l’injustice est tellement flagrante.

Page 71, Ben analyse :

« on lit toujours des choses semblables. Mais ça fait parti d’un monde totalement différent. On ne s’attend jamais à ce que ça arrive à quelqu’un qu’on connait bien. »

A la page 121, Ben dit à son ami Stanley, un noir :

« je ne crois pas que je le savais déjà. Ou si je le savais je ne me sentais pas directement concerné. C’était comme la face caché de la lune. Même si l’on reconnait son existence on peut très bien ne pas se sentir obligé de vivre avec (…) je ne peux plus vivre comme avant».

b) Début de la lutte contre le système.

Puis à la page 89 il se demande « que peut faire un homme seul contre tout un système ? ». Il est encore au début de sa lutte, et pense « le système ne me concerne pas ».

Au début il accepte le problème tel qu’il est, son problème n’est pas celui du système. Il ne voudrais pas changer le système dans lequel il vit, il se sent seulement concerné par l’histoire de son ami Gordon.

c) La perception du système par la population

On remarque l’image des blancs « moyens » qui tentent de se protéger des noirs. C’est un peuple minoritaire en Afrique du Sud, et qui ne sait pas car il ne veut pas savoir. C’est d’ailleurs de cette manière que se termine le roman :

« pour qu’il ne soit plus possible de dire encore une fois : je ne savais pas ».

C’est une communauté de gens qui sont sûr de leur droit et de leur valeurs , et qui considèrent qu’ils ont une superiorité raciale mais aussi morale (religion, pensée…).

Les Africaaners sont soit volontairement ignorants, et donc des gens égoistes, enfermés dans leur vie et qui ne pensent qu’à leur profit personnel. Soit ce sont des blancs honnêtes mais esclaves de leur préjugés moraux.

Susan, la femme de Ben du Toit illustre parfaitement mon propos lorsqu’elle dit à son mari (page 93):

« Ben, fait attention avec ta soif de verité, à ne pas gâcher tout ce que nous avons construit pendant toutes ces années ».

Elle donne donc beaucoup plus d’importance à sa tranquilité et à sa petite vie sans vagues qu’à la vérité et au restablissement de la justice.

Mais le héros du livre est un historien, il est donc attaché à la vérité et veut découvrir ce qui est réellement arrivé à son ami Gordon, mais aussi ce que vivent vraiment les peuples considérés inferieurs.

Et du côté des noirs, et de leur façon de supporter le système. On remarque que les «pères » (ou de nombreux adultes), incarné par exemple par Gordon acceptent de survivre dans ce système existant, c’est comme si ils avaient accepté cette situation. Alors que la revolte émèrge des enfants.

Par exemple au début du livre les elèves noirs manifestent contre le système éducatif et les enseignements qui sont donnés en afrikaans alors qu’ils voudraient apprendre en anglais (c’est en juin 1976).

Page 124, Stanley (un ami noir du personnage principal) explique « nos enfants ils n’en peuvent plus de ne pas être libre ». Les enfants noirs sont donc ceux qui se révoltent pour être libres.

Celui qui veut savoir est un traître

a) Rejet par les autres (Celui qui doute est abandonné et maltraité)

Ben devient un « traître » d’après son entourage, il trahit son parti, sa patrie. Il est considéré comme un terroriste et un communiste. Chacune de ses actions va être retournée contre lui, manipulée comme une preuve qu’être avec les noirs est mauvais.

Mélanie lui rappelle :

« souvenez-vous que vous êtes un Africaaner. Vous êtes l’un d’entre eux. A leur yeux c’est la pire des trahisons imaginables ».

Il est considéré comme un traitre à son propre peuple.

Plus le roman avance et le héros s’approche de la vérité, plus il se retrouve seul et abandonné par son entourage. C’est la dynamique d’abandon de celui qui enlève ses oeillères. Les autres considèrent que Ben fait une « faute » lorsqu’ils réalisent qu’il aide des Noirs. Il pensent que Ben « attire la honte sur eux » (page 173). Tous ses amis sont négatifs et hostiles au fait que Ben soit vu en présence de noirs.

Personne n’arrive à le comprendre ou ne veut comprendre parce qu’il préfère la vérité à son confort.

Racisme

Ce qui est étonnant et que l’on ressent bien dans le roman, c’est le racisme latent, qui existe des deux côtés. C’est un racisme réciproque entre les peuples. Par exemple, page 69, le directeur du lycée affirme « nous ne pouvons pas leur faire confiance » aux noirs. Puis, page 78, un colonel de la police parle des noirs en disant :

« regardez ce que le gouvernement fait pour eux… et en échange ils brûlent et détruisent tout ce qui leur tombe sous la main. Aucun enfant de race blanche ne se comporterait de la sorte ».

Les blancs parlent des noirs comme d’une maladie. Page 229, Suzette la fille de Ben du Toit dit, en parlant des noirs : « Ces choses sont contagieuses tu sais ». Le beau-père de Ben insiste :

« aucun membre de notre famille ne s’est jamais montré en public avec une kaffir » (p.261)

Si tu es blanc et que tu as des amis noirs, les gens te regardent d’un air désapprobateur. Mais aussi, si un blanc va chez les noirs il se fait chasser.

La séparation entre les blancs et les noirs.

a) Le monde des blancs :

L’histoire des Boers raconté par l’historien. C’est le triomphe des Africaners sur les Britanniques. On ressent bien dans le livre que les Afrikaners sont au pouvoir depuis assez peu de temps et qu’ils tentent en permanence de protéger ce pouvoir. Le beau-père de Ben insiste :

« maintenant que nous sommes enfin parvenus au pouvoir dans notre propre pays » (page 264).

C’est d’ailleurs un argument utilisé comme excuse pour autoriser l’action de la section spéciale (équivalent de la police). Cette section spéciale est un acteur récurrent du livre et elle joue un rôle considérable pour protéger la situation acquise.

Le pouvoir blanc est représenté par un système juridico-policier terrifiant : la police y est omniprésente et sans scrupules et elle justifie son action par la lutte contre le terrorisme, persuadée de son droit à agir de la sorte. De plus le système judiciaire est complice des abus de la police.

Cette lutte contre la menace terroriste rappelle la façon dont les Etats Unis se servent de l’excuse du terrorisme pour justifier une guerre ou pour limiter les libertés de ses citoyens.

Dans le système de l’apartheid, les lois permettent aux blancs d’être les maîtres tout-puissants.

b) Le monde noir : c’est des townships, une réserve de main d’oeuvre, des émeutes et la révolte. Les adultes noirs ont en quelque sorte accepté leur situation. Par exemple Stanley, l’ami noir de Ben lui averti :

« Ne te leurre pas, je suis libre autant que les maîtres blancs me le permettent. » (page 123).

Mais les enfants eux sont haineux à l’égard des Boers.

En 1976, à l’époque à laquelle commence le livre, les lycéens protestaient contre les inégalités du système éducatif, qui maintenaient les Noirs dans la misère et des conditions de vie sordides et ils réclamaient un enseignement aussi bon que celui prodigué aux Blancs.

Mélanie, la journaliste blanche explique en parlant des noirs qui réclament la justice coûte que coûte :

« Ils n’ont rien à perdre. A part leur vie. Et que reste t’il de la vie quand on a été à ce point dévétu. Ça ne peut pas être pire » (Page 150).

La situation est la même que pour les zapatistas, les indigènes qui vivent aux Chiapas menés par le sous-commandant Marcos. Ils expliquent eux aussi dans le documentaire « voces contra la globalización » qu’il n’ont plus rien à perdre étant donné leur conditions de vie, et qu’ils donneraient le prix de leur vie pour obtenir un changement de la société.

Cette notion de désespoir est celle qui fait avancer ceux qui n’ont plus rien.

Et Mélanie assure à Ben : « Mais vous, vous avez tout à perdre ». Ce passage explique parfaitement la relation entre les noirs et les blancs, et pourquoi les blancs en général ne cherchent pas à faire la justice car ils auraient tout à y perdre.

Il y a un gouffre entre les blancs et les noirs. Par exemple cela fait 15 ans que Ben du Toit habite dans cette ville et pourtant, « pour la première fois de sa vie il prit le chemin des agglomérations noires de Soweto » (page 99). De plus chaque fois qu’il va dans les quartiers noirs il est mal accueilli.

Cercle vicieux de la haine

a) Engrenage de la violence policière.

Les victimes sont brutalisées, déshumanisées. La police entraîne des chiens d’émeutes pour s’en servir pendant les manifestations. Ce qui veut dire que les noirs sont considérés comme du gibier. Il ya tellement de morts à chaque fois que ça devient presque banal. Des enfants disparaissent après les manifestations.

Une des manières de fonctionner de la police est de rendre les gens responsable de ce qui se passe. Par exemple, en parlant de la torture aux noirs, un policier dit au personnage principal

« Nous faisons cela pour votre bien, Nous voulons être sur que vous et votre famille dormiez tranquille » (page 79).

Le Colonel de police donne donc à Ben du Toit un part de responsabilité dans ce qui se passe.

b) Le cercle vicieux de la haine

Jeremy est fouetté par la police pour être punis de quelque chose qu’il n’a pas fait. Depuis ce jour « il nourri la folie et le meurtre dans son coeur » (page 61). C’est ici que commence le cercle vicieux de haine de l’histoire de ce livre. Mais le cercle vicieux de la haine mutuelle que se vouent les deux peuples blancs et noirs est bien plus ancien.

Jeremy est le premier personnage de ce livre à être victime de la police et il devient haineux et à soif de vengeance à partir de ce moment. Puis c’est sa famille et ses proches qui voudront avoir leur revanche et vengeance sur sa mort.

Mais la haine n’est pas originelle alors les deux camps sont condamnables, car il faut admettre que la violence de l’un est provoquée par celle de ceux d’en face.

La police joue aussi avec la honte et la peur. Gordon est emmené par la Section Speciale pendant la nuit devant ses enfants terrifiés (page 66) et à partir de ce moment là recommence un nouveau cercle vicieux où son fils va vouloir venger son père, qui lui voulait déjà venger son fils.

Cette dynamique de vengeance me rappelle un autre livre («Les Sirènes de Bagdad» -de Yasmina Khadra) dans lequel le héros Irakien explique que l’intrusion nocturne de militaires américains dans la maison familiale, l’humiliation des femmes et l’affront suprême, insupportable, de la vision de son père traîné nu par les envahisseurs, est l’évênement qui l’a fait devenir terroriste. La honte, la violence sont créateurs de haine.

Conclusion

a) Des institutions qui ne remplissent plus leur fonction première

« Il y a des époques comme la nôtre ou l’histoire n’est pas encore installée dans un nouveau courant, ferme. Chacun est seul. Chacun doit trouver ses propres définitions . La liberté de chacun menace celle des autres. Quel est le resultat ? Le terrorisme. » (le père de Mélanie, page 276).

C’est ce qui fait que ce conflit à des aspects et des dynamiques qui sont applicables à tous les autres conflits.

« et je ne réfère pas seulement aux actions du terrorisme patenté, mais aussi à celles d’un état organisé dont les institutions mettent en danger notre humanité essentielle ».

L’Etat ne protège plus ses populations. Il ne rempli plus sa fonction première, il est devenu pourri de l’interieur, et corrompu, et injuste et excluant. Certains, grâce à cet Etat qui ne rempli plus ses fonctions première, sont devenues intouchables (les policiers par exemple) :

« protégés par la masse de leur formidable système » (page 293).

« Discussion-Dialogue. C’est la seule chose qu’ils ne vous offriront pas.(…) C’est une question de puissance. C’est ce qui les a amené là et ce qui les maintient là (…). Une fois qu’un seul de vos geste peut décider du sort des autres hommes, vous avez besoin d’une conscience très active pour vous mettre à agir contre vos propres interêts. »

Cette question du pouvoir, inhérente à tout conflit, est une des raisons principales pour laquelle il y avait un conflit en Afrique du Sud. Une fois que quelqu’un à atteint le pouvoir il cherche à maintenir ce statut quo, au détriment souvent de la justice.

b) Le « bien » et le « mal »

De plus il est interessant de remarquer que le personnage principal s’interroge à plusieurs reprises sur sa légitimité. Il se rend bien compte que la frontière entre le « bien » et le « mal » est extrêmement difficile à délimiter. Dans chaque lutte il y a deux, ou plusieurs groupes. Chacun d’eux croit détenir la verité, car cela dépend du point de vue sur lequel on se place. Ben s’interroge vers la fin du livre (page 328) :

« D’une manière monstrueuse, ne suis-je pas en train de simplifier cette situation complexe en transformant tous ceux qui appartiennent à « l’autre côté » comme criminels ? »

Il faut dire pour conclure, que ce livre termine sur un double échec du héros : Il est rejeté par les noirs, et sa mort est un sacrifice apparement inutile. Ou bien c’est au contraire un triomphe sur l’ignorance ?