Une lecture de « Le Monde du milieu » de Breyten Breytenbach

Milena VARA RUIZ, Mars 2010

Cet ouvrage constitue un recueil d’essais qui, comme le définit l’auteur, « sont imprégnés (…) par la notion de Monde du milieu, un espace de transformation qui ne peut partager les certitudes du départ ou la satisfaction de l’arrivée ».

Ce dernier articule à travers ces extraits une analyse des problèmes auxquels est aujourd’hui confronté le continent africain, tout en nous livrant son opinion personnelle et engagée. Il ne se fait cependant pas porte parole du peuple africain qu’il ne considère pas « un tout » mais plutôt un agglomérat de différentes identités avec leurs propres spécificités et contradictions.

Pour lui, la compréhension de la notion de « Monde du milieu » passe avant tout par son point de vue sur les « relations Nord/Sud » et sur l’impérialisme exercé par l’économie de marché sur le climat international en général. A travers sa vision, il cherche avant tout à figer ses réflexions dans le temps, afin de guider son lecteur vers un questionnement inspiré du sien dans le but de comprendre les subtilités de sa perception. Ces questions à répétitions auxquelles il ne répond pas forcément aident le lecteur à mieux comprendre cette notion de « Monde du milieu ». En tant qu’africain du Sud, il a été marqué par sa propre histoire et celle de son pays. Le tableau qu’il dresse de la situation africaine laisse entrevoir les responsabilités en rapport avec le passé et avec les relations diplomatiques actuelles qui sont en jeux dans ce contexte. La pauvreté touche un tiers de ce continent dont la situation ne fait qu’empirer aux dépends de la communauté internationale

C’est en me basant sur l’étude du livre « Le Monde du milieu » que je me pencherais dans un premier temps sur l’influence que l’histoire et que la période coloniale ont eu sur le continent Africain grâce au arguments exposés induit par l’auteur pour mieux expliquer la situation actuelle. Dans un deuxième temps, je m’intéresserais à l’instabilité du pouvoir central en Afrique à travers les exemples qu’il soulève et au rapport qu’il entretient avec les formes de pouvoir et d’autorité. Breyten Bretenbach nous expose sa vision de manière subjective, teintée par la douleur d’un Africain du Sud qui a quitté son pays, et qui constate la difficile situation qu’a traversé ce continent le siècle denier.

Il reste cependant d’un grand optimisme quand au futur du continent Africain, tout en étant conscient de l’impact des cicatrices du passé et de la polarisation de l’ordre mondial sur l’Afrique. Il appelle néanmoins à repenser l’Afrique comme une idéal en mouvement, non figée, qui au lieu d’appliquer les recettes importés par les occidentaux devrait plutôt s’autoréguler en valorisant la variété des identités qui composent son peuple.

A travers son ouvrage, Breyten fait une ode à la multiculturalité et aux aspects propres à chaque culture et identité en s’opposant aux phénomènes actuels qui visent de plus en plus à imposer un modèle unique et à effacer les spécificités de chacun. « si vous oubliez comment les autres vous voient vous n’existez plus » souligne par ce biais l’importance de vivre ensembles et de prendre en compte l’autre et ses perceptions.

Aujourd’hui la pauvreté ravage l’Afrique: « L’extrême pauvreté à quadruplé au cours des deux dernières décennies. Plus d’un tiers des habitants du continent survivent avec moins d’un demi dollars par jour ».p80 Après l’exploitation de toutes les matières premières et de la main d’œuvre par les empires coloniaux, les processus de décolonisation ont apporté beaucoup d’espoir à ces populations. Cependant, les effets pervers de la décolonisation se sont vite fait ressentir et malgré l’euphorie du début de la libération les déceptions sont vite arrivées. L’absence de bases solides pour permettre la construction de systèmes fonctionnels et adaptés aux spécificités des peuples africains a eu un coup très lourd pour les gouvernements naissants. L’Afrique n’a pas décidé par et pour elle-même son futur post colonial, tant au niveau du découpage des frontières qu’en ce qui concerne le type gouvernements mis en place après la période coloniale. Pour l’auteur, il est nécessaire de prendre en compte la diversité des cultures comme une richesse et non comme une source de conflits. Le passé quand à lui doit être source d’apprentissage afin d’en tirer des enseignements pour l’avenir. Breyten reste cependant optimiste pour le futur lorsqu’il dit : «je crois qu’avec une direction responsable et la participation entière et reconnue de ce qui était connu comme les « forces vives » parmi la population, ce continent peut être transformé. » p 55 A travers cette citation, il veut aussi montrer que l’Afrique est dotée de personnalités de valeur qui pourraient faire beaucoup en suivant une impulsion cadrée hors des réseaux corrompus et clientèlistes.

Cependant, il fait aussi ressortir un profond manque d’injustice envers ce continent où tout peu se produire sans pour autant que cela n’ait un trop gros impact sur l’ordre mondial chapeauté par les grandes puissances. Il cite certains cas où la communauté internationale a fermé les yeux sur ce qu’il était entrain de se passer comme par exemple au Darfour alors qu’elle a apporté son appui à l’Afrique du Sud pour mettre fin à l’apartheid. Ces exemples sont aussi une manière pour lui de montrer à quel point les actions de la communauté internationale semblent orientées par des intérêts bien précis indispensables pour conserver une bonne image comme en appuyant la cause des noirs face aux blancs en Afrique du Sud et en faisant la promotion de la réconciliation entre deux cultures.

Il s’interroge aussi sur l’efficacité et la neutralité de la justice internationale quand la Cour Pénale Internationale n’appelle même pas à la barre des personnes comme Robet Mugabe, Bush, Omar Hassan el-Béchir… Cette remarque oriente sa réflexion sur les systèmes de gouvernement mis en place dans les différents pays africain qui, pour la plupart, n’ont pas amené la stabilité. Il questionne aussi la légitimité et le but réel de la création d’institutions démocratique qui ne résultent pas efficaces. Il dénonce en premier lieu le cercle vicieux de corruption et de clientélisme qui gangrènent l’appareil étatique, administratif et judiciaire de ces jeunes États africains et affecte par conséquent leurs citoyens.

C’est à partir de ce constat que l’auteur remet en cause le modèle d’État-nation à l’occidentale et cette promotion de la démocratie comme le seul moyen viable de gouverner un État. « Nous devons admettre que le concept d’État-nation, comme il existe aujourd’hui en Afrique, conciliant les seules élites locales rapaces et corrompues et les sociétés étrangères cyniques, n’est pas viable. La démocratie qui s’est répandue, même quand elle est adoucie par le poison des élections, est entrain de nous tuer. »p87

En effet, il identifie la corruption et le clientelisme comme des problèmes centraux pour le bon fonctionnement des gouvernements africains. Il cite en exemple le Sénégal dont le président corrompu et autocrate n’autorise aucune présence d’ONG sur le territoire afin de ne pas être « dérangé » concernant sa gestion gouvernementale, tout particulièrement en période électorale. A travers ce constat, l’auteur dénonce tant l’échec du modèle hérité des puissances coloniales occidentales que les dérives de ce derniers sur le continent africain et le laissez-faire qu’il perçoit de la part de la Communauté Internationale.

Il fait aussi un portrait de la situation en Afrique du Sud pour illustrer les problèmes d’insécurité et de violence qui se développent et se répandent de plus en plus avec l’instabilité du pouvoir central et la pauvreté. Originaire Afrique du sud, l’auteur nous dresse un portrait assez noir de la situation d’instabilité qui règne dans son pays dans Les Sourire de Mandela, une lettre adressée à Nelson Mandela.

Dans cet extrait, il dresse le tableau de la situation d’insécurité croissante qui règne en Afrique du Sud et qui se traduit par la multiplication des vols, des viols, des crimes. La population vit dans la peur et dans une incertitude constante ; un climat qui a contribué à ce que l’auteur quitte son pays d’origine.

Dans cette lettre, l’auteur se confie à Madiba comme à un père qu’il respecte et admire pour son charisme et le rôle qu’il a joué pour son pays. Il juge aussi de manière complètement objective Mandela, père de la nation arc-en-ciel, malgré quelques critiques qu’il lui fait concernant son rapprochement avec l’occident. On pressent d’une certaine manière des regrets vis-à-vis de cette époque où la lutte pour la « réconciliation » sud africaine se concrétisait avec tous les nouveaux espoirs qui l’ont accompagné. Il dit notamment : « quand on visite le pays, ce qui marque d’abord l’esprit au fer rouge et étreint le cœur, ce ne sont que des faits divers devenus emblématiques d’une société plongée dans un profond désarroi.»

L’auteur lui expose aussi ouvertement sa colère et sa douleur face à ces situations de violence, d’insécurité et de pauvreté qui gangrène le pays à tous les niveaux qui représente une vrai menace pour le pays. Cette violence s’étend même jusqu’au milieu scolaire où les cas d’agressions et de viols sont très fréquents. Les exemples que donne l’auteur dans des milieux allant de l’école à la prisons sont plus choquants les uns que les autres et montrent à quel point la violence et le non respect de certaines règles est institutionnalisé là bas.

La détérioration de l’Afrique, qui n’a jamais été autant touchée par la pauvreté et les conflits, s’inscrit, comme le constate l’auteur, dans une détérioration de l’environnement international où la paix ne signifie plus que la suspension temporelle de violence (cf p 75). C’est en illustrant d’exemples d’émigration extrêmes et choquants et en relevant les contradictions inhérentes aux interventions de la communauté internationale que l’auteur souligne les injustices qui sévissent entre le Nord et le Sud. Il nous permet de mieux comprendre comment les africains peuvent percevoir la communauté internationale mais aussi se montrer méfiants envers les puissances occidentales et leurs actions.

Imaginer l’Afrique est l’extrait qui traite de la manière la plus détaillée des relations entre les composantes majoritaires de la communauté internationale et le continent africain. Depuis la fin de la guerre froide, avec la victoire des alliés et le début de l’hégémonie américaine, l’ordre mondial tel qu’il était a été bouleversé. Même si auparavant la majeure partie des accords et des engagements internationaux étaient construits sur des bases fragiles et souvent orientés par les intérêts diplomatiques et économiques, ils avaient le mérite d’exister et conféraient un certain équilibre au sein de la Communauté Internationale. Aujourd’hui on assiste à la recrudescence d’un superpouvoir international qui agit de façon unilatérale où il juge bon de le faire sans tenir en compte l’avilissement des cultures non occidentale qu’il véhicule. Dans cet extrait, l’auteur laisse transparaitre à quel point il s’oppose à cet simplification des aspects culturels et identitaires qui est innocemment entrainé par la mondialisation. Pour l’illustrer, il donne l’exemple d’une exposition d’art africain Africa Remix où les artistes étaient classés sans aucune distinction géographique comme si l’Afrique représentait un tout. De plus, il s’interroge aussi sur le fait que la plupart des artiste Africains reconnus eu Europe y travaillent et y résident ce qui en quelque sorte peu fosser l’authenticité de l’image qu’ils véhiculent ce qui constitue pour lui un amalgame et un effacement des spécificités des diverses cultures qui composent l’Afrique.

Cette détérioration de l’environnement international a des impacts sans précédent sur le continent africain mais peu aussi s’explique par les priorités économiques qui rythment le monde.

Il dénonce la contradiction qui se pose entre les fonds alloués pour les actions de maintien de la paix, de coopération et d’aide humanitaire, et en aval ceux qui se destinent à développer et commercialiser les armes qui collaborent à maintenir en guerre les pays africains. Ces contradictions mettent en lumière le regard que peuvent porter les habitants de ce continent envers les puissances occidentales qui jouent un rôle à double facette.

L’extrait Obamandela nous apporte la vision de Breyten et des africains en général concernant le résultat des dernières élections aux États-Unis mais aussi de la perception qu’il a de Obama qu’il compare dans cet extrait à Mandela. En effet, il est intéressant de voir comment la victoire d’un homme de couleur à la présidence de la super puissance Étasunienne a pu être vécue par le peuple africain. A la fin de cet extrait l’auteur nous raconte un échange avec un de ses amis sénégalais qui lui a dit : « personne en Afrique ne croyait que les américains trouveraient au fond de leurs cœurs la maturité et l’impartialité pour élire un noir à la présidence ». Ceci reflète en quelque sorte la mauvaise image qui a pu être véhiculée par cette super puissance au cours de ces dernières années et l’espoir qu’a pu suscité cette victoire inattendue. Il souligne a quel point, même en cas d’échec politique, la victoire d’Obama gardera une énorme signification car « le peuple américain a dépassé ses peurs et ses préjugés » comme le dit la même personne. Malgré le fait que cette victoire ait eu un impact planétaire, les africains on été les premiers touchés par l’élection d’un homme de couleur par le peuple Étasunien en qui ils avaient peu d’espoir.

Cependant, malgré le tableau que dresse Breyten sur la situation actuelle en Afrique et le fait qu’il ne considère pas adapté au « fonctionnement africain » la démocratie basée sur un modèle occidental, il reste cependant optimiste quand au futur de l’Afrique. Il considère qu’ « un État devrait être le lieux d’exercice d’un pouvoir légitime et d’arbitrage par une administration des intérêts d’une grande communauté composite vivant dans les frontières « naturelles » qui marquent une certaine cohésion culturelle ». Cette citation expliquerais en partie l’instabilité actuelle de certains Etats africains. L’espoir résiderais néanmoins dans l’imagination qu’il ne suffirait plus qu’à mettre en pratique en se basant sur les enseignement du passé « je rêve d’un continent intégré, de générosité, de justice économique, de créativité et de responsabilité civique. Un continent qui développera sa propre modernité durable loin des modèles occidentaux « universalistes » de globalisation qui ne servent que les maitres ».

La lecture de cet ouvrage donne une vue d’ensemble sur l’interaction des forces qui agissent dans ce « Monde du milieu ». La vision de l’auteur en tant qu’africain du Sud m’a permis, notamment a propos de l’instabilité étatique et de la démocratie en Afrique, a miexu comprendre les sources de ces dysfonctionnements. Par ailleurs, la critique qu’il fait de l’environnement international et des relations qu’entretiennent les grandes puissances occidentales avec le continent africain permettent de mieux comprendre la position qu’adoptent certains africains. L’auteur arrive a travers ses divers exemples a donné une idée au lecteur de l’interprétation et de la perception qu’ont « les africains » de l’occident. En effet, en tant que française, le questionnement induit par la lecture du « Monde du milieu » m’a permis d’apprécier différemment les relations Nord Sud mais surout de comprendre pourquoi certains africains rejettent les valeurs occidentales. De plus, la manière dont il perçoit et explique cette influence de l’occident aide à mieux comprendre la source des problèmes qui touchent aujourd’hui ce continent.