Révérien Rurangwa, un jeune rescapé du génocide rwandais sur le poids de la vie dans “Génocidé”

Coralie Guillemin

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  • Rwanda

Révérien Rurangwa, né en 1978, âgé de 15 ans lorsque le génocide a frappé son pays, sa famille et bouleversé sa vie. Il est le seul survivant de sa famille après avoir assisté au massacre de celle-ci composée de 43 personnes. Lui aussi grièvement blessé, a supplié ses assassins de l’achever qui ont préfére l’humilier que de répondre à sa demande. Il fut miraculeusement sauvé par le CICR, alors qu’il attendait la mort sur les cendres de sa famille, soigné puis évacué vers la Suisse. Son besoin de justice l’a poussé à rentrer au Rwanda, et celui-ci lui fut refusé au nom de la réconciliation. En tant que rescapé, il encourt un danger de mort dans son pays même dans certains endroits d’Europe trahi par les marques de son passé qui lui déforment le visage, visage avec lequel il peine à vivre. Ses demandes d’asile en Suisse lui ont jusqu’ici été refusées le mettant en situation d’apatride.

Son livre est sûrement représentatif de l’innommable qu’a vécu son peuple à cette période et de ce qu’il vit encore aujourd’hui. Il y décrit adroitement la barbarie, le sadisme et l’humiliation auquel il a été confronté et le fait que seul le présent survit à un génocide. En effet, sans famille et sans pays, son passé lui a été dérobé. Son avenir devrait être d’avoir une femme et des enfants mais ses doutes fondés sur son reflet dans le miroir ne le laissent pas l’espérer. Le pardon qui est un mot « à la mode » en Europe, lui est étranger pour plusieurs raisons, la plus récurrente est celle de la justice inappliquée. La spécificité de ce génocide, est que les coupables étaient presque toujours les voisins de leurs victimes.

Il est difficile d’entreprendre une étude sur ce livre sans en citer chaque virgule, car il est si complet qu’après l’avoir lu, presque aucune de mes questions ne reste sans réponse. Je ne peux désormais que le recommander à chaque personne ayant des doutes sur le sujet. Après lecture, la conclusion qui en ressort est que la voie de la réconciliation sans la justice n’est sûrement pas la solution qui clôturera définitivement cet épisode. Le génocide contre les Tutsi continu toujours au Rwanda mais pas seulement.

Il me parait indispensable d’adopter la même attitude que l’écrivain pour entamer cette étude : donner la définition du mot « génocide » :

acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel. (Petit Larousse).

Et l’écrivain, précise quelques lignes plus loin :

« il s’agit de les détruire pour l’unique raison qu’ils existent » (p.13)

BARBARIE ET SADISME

Le traumatisme, dont souffrent les rescapés aujourd’hui, est né du comportement de leurs agresseurs qui en plus d’être leur voisins, ont fait preuve d’une barbarie et d’un sadisme inqualifiables envers des personnes qui leur étaient si proches. Il n’est pas simple de choisir les mots pour décrire de tels actes, Révérien réussi avec des mots simples à nous transmettre les images que son peuple a vu et vécut. Ainsi il explique plusieurs des habitudes et plaisirs des génocidaires au moment d’accomplir le «travail » :

« Et, ainsi qu’ils le pratiquent souvent en jouissant, jetteront son corps blessé avec celui de ses deux enfants et de sa femme dans le trou des latrines. Puis ils se soulageront sur les agonisants. » (p.34)

Il n’oublie pas de souligner la mécanique si bien rodée, répétitive, rythmée et élaborée dans le but d’affliger le maximum de souffrance aux victimes. Cette mécanique peut être comparée à un machine en plein travail :

« Ils progressent, fauchant à gestes lents, méthodiques et économes, les Tutsi qui les supplient, agenouillés dans l’herbe. » (p.50)

« Les Hutu blessent lors d’une première tournée ; laissent la victime mariner dans son « jus » et sa douleur ; puis terminent le « travail », comme ils disent, lors d’une seconde tournée. » (p.62)

« Les filles Hutu parcourent la colline, zigzaguant au milieu des cadavres, en proposant de l’eau. C’est un piège. Dès qu’un agonisant demande à boire, elles le désignent à un milicien qui vient l’achever. » (p.71)

Rien n’était laissé au hasard par les génocidaires et leur but atteint : leurs victimes ne pouvaient échapper à la souffrance avant d’atteindre la mort. Ceux-ci ne se contentaient pas de les tuer en un seul coup de machette, et éprouvaient un grand plaisir à ne respecter aucun des souhaits de leurs victimes : une dernière prière, à boire, ou même la mort.

« Je suis mort mais pas encore. Je n’y arrive pas tout seul. Il faut m’aider. J’ai besoin de quelqu’un pour m’achever. Vite. » (p.71)

C’est ainsi que Révérien a survécut malgré lui, suppliant la mort à divers hutu, il ne récolta d’abord que des coups de machette, de gourdins et autre supplémentaires mais pas mortels. Puis, lorsqu’il ne ressemblait plus qu’à un mort vivant, il n’obtient que l’humiliation alors qu’il avançait à la recherche d’un dernier coup mortel :

« Je hèle d’une voix faible les porteuses d’eau afin qu’on en finisse. Mais je les fais rire, les filles hutu, je ne suis qu’un épouvantail mutilé et cramoisi. » (p.79)

« Certains Hutus n’arrivent pas à croire que je vive encore. Ils rient et me lancent des sobriquets : « Allez, mort debout, plus vite que ça ! » Un autre me surnomme le « mort qui marche ». Il n’a pas tort. Mais ils ne veulent pas me finir. Ma torture devient un jeu pour eux. Certains parient-ils sur mes heures prochaines de survie ? « Deux Primus qu’il tint jusqu’à l’aube ! » » (p.74)

SEUL LE PRESENT SURVIT A UN GENOCIDE

UN PASSE DETRUIT

La difficulté de survivre à un génocide est tout d’abord la culpabilité d’y avoir survécu. Cette culpabilité est ressentie aussi bien par les survivants des camps d’extermination nazis que par ceux du génocide rwandais. Elle vient souvent de la perte d’en partie ou de tous les proches et famille, elle dit « pourquoi eux et pas moi ? » Les rescapés racontent souvent qu’ils auraient préféré mourir que de survivre à leurs proches.

« Quarante-trois personnes abattues en moins d’une centaine de secondes. Toute ma famille. Suis-je mort ? Hélas, pas encore. (p.62)

C’est ainsi qu’une tache de sang recouvre le passé de l’écrivain et l’empêche (comme beaucoup d’autres dans son cas) de regarder vers ce passé. Le génocide a réussi à rendre douloureux chaque souvenir qu’ils lui soient antérieur ou non car ses assassins étaient présents dans la vie de leurs victimes au quotidien et lors d’événement comme les mariages avant le massacre.

« La plupart de ces assassins priaient dans cette église il y a trois semaines, aux côtés de ceux qu’ils abattent, là, entre les bancs, sur les marches du chœur, dans la sacristie. » (p.74-75)

DERACINEMENT

Le déracinement qu’a vécut l’écrivain fut aussi brutal que complet.

« L’avion qui décolle de la piste de Kigali m’arrache à mon pays qui ressemble plus que jamais à un crâne fendu par une machette. Il m’arrache à tout ce qui m’a tissé durant quinze ans pour construire l’adolescent que je suis, traumatisé à jamais. Il me sauve la vie et il me l’enlève. Je suis un survivant déraciné. » (p.85)

Il en souffre apparemment intensément, mais celui-ci parait plus qu’indispensable à sa survie physique. Le problème étant que son état mental en est d’autant plus affecté. Après réflexion et au vue de la situation au Rwanda on serait tenté de conseiller un exil similaire à tous les Tutsi qui y vivent dans la peur encore aujourd’hui. Mais cet exil n’est pas sans conséquences et le dilemme n’est pas des moindre. Ainsi, Révérien se décrit encore aujourd’hui comme un enfant (le temps se serait arrêté dans son esprit le jour de son agression) :

« Un enfant bouleversé d’avoir perdu dans une violence extrême, en quelques heures, en quelques jours, sa famille, sa langue, ses coutumes, ses habitudes, ses rites, son pays, ses odeurs, ses parfums, ses couleurs, ses musiques. » (p.87)

PERTE DE LA FOI

Le Rwanda est un pays qui au moment du génocide était en majorité catholique et hébergeait des prêtes et sœurs d’origine européenne. Lors de l’explosion subite du génocide ces derniers bénéficièrent des différentes missions militaires envoyées par les pays européens dans le but de rapatrier les ressortissants étrangers pour les mettre à l’abri. Certains d’entre eux furent emmenés contre leur volonté (ils voulaient continuer leur mission et peut être réussir à sauver quelques vies) alors que d’autres firent preuve d’un certain humour au moment de leur départ comme ceux que l’écrivain a vu partir. Dans les deux cas la population Tutsi abandonnée à Dieu par ses représentants vécurent ce départ comme un abandon incompréhensible.

« Ils étaient devenus des nôtres. Ils nous ont lâchés d’un coup. […]Ils ont crié à la cantonade, avant de grimper dans les voitures-minibus : « aimez-vous les uns les autres », « pardonnez à vos ennemis ». C’est une parole de circonstance quand on va mourir assassiné par son voisin. » (p.29-30)

Beaucoup de victimes ont imploré Dieu jusqu’au bout et, malgré son silence, ils ne perdirent jamais la foi comme ce fut le cas de la mère de l’écrivain. Ce dernier témoin des prières sans réponse de sa mère a perdu la foi au même instant.

« Et nous, attendant l’inévitable, petite troupe prostrée dans la nuit, figée dans un silence lourd que seul déchire la prière de ma mère qui répète « Seigneur, sauve-nous ; prend-nous dans ton Paradis ; Seigneur, pardonne-nous nos offenses : accueille-nous avec toi dans ton Royaume. » […] J’en prendrai conscience des années plus tard : c’est à ce moment précis, en écoutant sa supplique, que je n’ai jamais autant aimé ma mère et que j’ai perdu la foi. » (p.53-54)

« La seule prière dont je suis capable aujourd’hui, la voici : « Seigneur, merci de ne pas être hutu ! Et plonge tous ces fumiers dans les flammes de ta géhenne éternelle, amen ! » (p.147)

« Serais-tu donc un Dieu impuissant dont le regard aveugle me fixe dans les ténèbres ? Qu’importe après tout puisque tu es mort en moi. » (p.187)

Cette foi sa mère la lui avait patiemment inculqué des années durant et la perte de celle-ci représente une rupture de plus entre son passé et son présent.

UN AVENIR INCERTAIN

Au Rwanda tout enfant grandi dans l’espoir de fonder une famille heureuse avec beaucoup d’enfants. Après un génocide, la perte de toutes racines familiales, et par là même d’une stabilité, mais aussi de certaines valeurs telles que la foi (comme expliqué ci-dessus) la tâche se révèle plus complexe qu’elle ne l’était. Dans le cas de Révérien (cas extrême mais pas unique), la défiguration qu’il a subite l’amène à douter de ses capacités à accomplir son destin, mais le fait qu’il soit le seul survivant de sa famille le pousse à avancer malgré tout.

« L’une des raison de ma colère se résume très simplement mais ne s’avoue pas aisément. […] Quelle femme voudra un jour épouser « Elephant Man » ? […] Or me marier et offrir des enfants à ma famille est l’une de mes raisons de ne pas mourir. Si l’un de mes frères avait survécut au génocide j’aurai été déchargé de cette obligation ; je me serais sans doute suicidé. » (p.111)

Un génocide ne s’arrête pas en même temps que les massacres si justice n’est pas faite. Il sera exposé dans la partie suivante ce qui pousse a la conclusion que les braises du génocide rwandais sont toujours chaudes même si le feu est éteint. C’est aussi pour cette raison que la perspective d’un avenir pour les rescapés reste encore aujourd’hui inaccessible.

« Et puis les survivants sont des gêneurs. […] Nous gênons les rwandais. […] Nous gênons les Occidentaux. […] Nous gênons les Tutsi. […] Nous gênons les Hutu. […] Nous gênons parce qu’un génocide ne s’arrête jamais. » (p.162-163-164)

PARDON IMPOSSIBLE

BESOIN DE JUSTICE QUI S’OPPOSE AU PROCESSUS DE RECONCILIATION

Arrivé à ce stade de l’étude on peut comprendre à quel point le besoin de justice est vital pour les victimes du génocide. Mais dans le cas du Rwanda, le génocide fut orchestré de façon à rendre le travail de la justice impossible : presque deux millions de personnes y ont participé si on compte les femmes et les enfants qui, comme on a pu le constater précédemment, ont su se rendre utiles dans ce processus.

« Pour cela, il fallait impliquer le maximum de monde parce que, disaient-ils « on ne peut pas juger tout un peuple » […] Ce qui rend aujourd’hui dantesque et presque impossible la tache de la justice » (p.15)

De plus, la politique actuelle du pays a pour mot clé la « réconciliation » et montre une gêne palpable face aux témoignages des rescapés qui s’y risquent. On peut dire qu’il y a aujourd’hui un conflit entre ceux qui voudraient oublier (Hutu coupables et Tutsi exilé avant le génocide qui ne veulent pas en entendre parler) et ceux qui crient « justice ! ». Les autorités ferment les yeux et les génocidaires font disparaître les dernières traces de leurs crimes.

« Les tribunaux jugent à tour de bras, délivrent quelques mois d’intérêts général, et basta. On passe l’éponge sur le sang des innocents. On pousse la poussière des cadavres sous le large tapis de l’histoire avec la balayette d’un simulacre de justice. Enfin, pourquoi ressasser de tels souvenirs ? Ils ne peuvent que grever l’avenir et mettre en péril l’indispensable réconciliation nationale. […] il y a des risques à porter plainte. Des centaines de témoins ont été éliminés par la lame ou le poison. »

« Ma tête est mise à prix et mon assassin est libre comme l’air : c’est la Justice à l’envers. » (p.106)

« Il a recommandé à ses concitoyens, lors d’une commémoration du génocide : « Enfermez vos sentiments dans des armoires et bouclez-les à clé. » Mais si M. Kagamé a une armoire à la place du cœur, moi je suis un orphelin de 20 ans, la rage au ventre, convaincu qu’il n’y a pas de pardon sans justice. » (p.106)

HAINE

Après avoir insisté longuement et réussit à envoyer son assassin en prison, l’écrivain a survécut a plusieurs tentatives de meurtre orchestrées par la même personne. Ce qui l’a fait fuir pour la seconde fois de son pays furent non seulement ces tentatives mais surtout le fait que l’assassin des 43 personnes qui composaient sa famille ressorte de prison après seulement 2 ans grâce à la corruption et au débordement de l’appareil judiciaire rwandais. Voyant la justice bafouée Révérien peine à refouler ses envies pressantes de vengeance.

« J’essaie, pour ma part, heure après heure de chasser le désir de vengeance, cette bête noire qui mord le cœur et dont le venin envahit tout l’être jusqu’à le paralyser. C’est œuvre de longue haleine que d’extirper la colère blanche. Or moi. je ne suis pas plus fort que la haine. » (p.17)

« La haine du Hutu, des Hutu, de tous les Hutu, se vrille en moi à cet instant comme les dents d’un harpon qui ne pourra jamais être retiré tant il pénètre loin dans la chair. Une haine noire, mortelle, intense, inextinguible et totale qui ne fait que redoubler, se multiplier soixante-dix-sept fois, lorsque Sibomana prend tout son temps pour ouvrir le ventre de ma mère et que j’entends celle-ci murmurer « papa, papa, pourquoi m’as-tu fait naître » » (p.58-59)

L’écrivain a développé une haine de l’hutu incontrôlable. Après lecture de son récit, un sentiment d’impuissance envahit le lecteur (qui souhaiterai que Révérien n’en vienne pas à la violence), dans le sens où il sent qu’aucun argument ne pourrait faire le poids face au vécut de l’écrivain, qui cri vengeance, pour l’en dissuader.

« Je n’ai pas envie de me suicider tout de suite quand j’aperçois ce gâchis , mais j’ai envie de tuer. Tuer du Hutu. » (p .126)

PAS DE PARDON SANS JUSTICE

Après avoir survécut à une violence indescriptible, perdu son passé, ses racines, ses valeurs, dans l’impossibilité d’envisager un avenir, face à une justice aveugle et corrompue, cohabitant avec la haine jour après jour dans la peur de son assassin, l’écrivain ne veut pas et ne peut pas pardonner…

Celui-ci consacre un chapitre entier, sans compter les différentes explications qu’il donne tout au long de son récit, pour justifier son refus du pardon. Il n’a pas obtenu justice dans son pays, et ne peut vivre en paix dans son pays car son génocidaire, en plus de ne pas se repentir, cherche à tuer les derniers témoins de ces actes.

« Ah, le pardon… Le mot qui tue ! Je vois rouge dès que je l’entends. Il a été biffé de ma vie à coups de machette et je l’ai vomi de mon vocabulaire. L’entendre me fait dégainer, sortir de mes gonds, par une sorte de réflexe clinique, un refus automatique. » (p.127)

« On ne pardonne pas à un assassin impuni, qui n’a fait aucune démarche de repentir. » (p.128)

On se demande encore après lecture et étude de ce récit comment aider Révérien à vivre en paix. On se sent révolté de voir que la justice peut être bafouée au point que la victime reste sous la menace de l’assassin même après jugement. On cherche les conseils que l’on pourrait donner à l’auteur si l’on avait l’occasion de s’entretenir avec lui, pour l’aider à avancer malgré tout. Malgré les recherches, on ressent toujours ce sentiment d’impuissance, quelques soient nos paroles, il ne pourra rien faire tant que son assassin vivra libre avec ses compagnons de « travail » dans un pays qui voudrait effacer 100 jours ou voire plusieurs années de son histoire.

Ce livre est une bonne leçon en ce qui concerne la résolution des conflits. Le Rwanda en est toujours au stade des tentatives de résolution et n’a pour le moment pas trouvé la bonne méthode pour ramener la paix au sein de son peuple. Notre optimisme nous pousse à penser qu’il y a sûrement une solution, mais la raison nous fait réaliser que ce n’est pas d’une solution mais d’un miracle dont le Rwanda a besoin. Car même si Tous les acteurs du génocide payaient leur dette, la rupture existant aujourd’hui entre les deux ethnies est sûrement indélébile dans leurs mémoires.