Dans le polar « Avril Rouge », Santiago Roncagliolo raconte la présence du sentier lumineux au Pérou actuel

Elsa Pierre

Un substitut de procureur est amené à faire une enquête sur des meurtres dans la ville d’Ayacucho pendant une période de fêtes religieuses. Il suspecte le Sentier Lumineux d’être derrière ces meurtres mais ni les autorités ni la population ne l’aident. Il est lui-même victime d’une tentative d’assassinat. Il va petit à petit déjouer le règlement et profiter du système pour découvrir qui est responsable de ces crimes.

Quelles sont les différences culturelles entre la culture décrite et la nôtre ?

La première différence qui se détache à la lecture de ce livre est la peur. Elle règne sur tous les villages et villes par lesquels passe le héros, le substitut du procureur de district Félix Chacaltana Saldívar. Les habitants ont peur des autorités et ne leur font pas confiance. Ils ont beaucoup souffert des conséquences de la guerre que le gouvernement a mené contre le Sentier Lumineux et gardent encore en tête les représailles subies. Ils ont encore peur d’être attaqués ou que leurs enfants soient enlevés. Ils ont peur de parler, d’exprimer leur point de vue, de se manifester, de déposer des plaintes ou même de témoigner de ce qu’ils ont vu. Un exemple de cette peur pourrait se traduire par la scène où le substitut arrive à Yawarmayo et Yupanqui lui trouve une famille chez qui se loger (p. 98). La famille ne veut d’abord pas ouvrir :« [Yupanqui] donnait de grands coups dans la porte tout en continuant de crier, se tournait de temps en temps vers le juge avec un sourire d’excuse », puis ils finissent par ouvrir mais ont très peur et ne veulent pas l’héberger : « tous restaient là à le regarder, comme pétrifiés », « tous les membres de la famille se mirent à vociférer en même temps, mais le policier cria aussi fort qu’eux et leva sa matraque » et enfin ils acceptent pour de l’argent mais ils n’ont jamais adressé la parole à Chacaltana. « Ils le regardèrent sans émettre un son » « Nul ne lui dit au revoir » « personne ne lui répondit » « ils ne dormaient pas et le regardaient, tapis dans leur coin, comme des chats apeurés » «Réunis, serrés les uns contre les autres, ils le firent cette fois penser à un nid de serpents» (p. 103)

Le deuxième aspect que j’ai relevé est la corruption et le silence. Tout le long de son enquête le substitut fait face à des refus et des non-dits. Ce n’est que quand il ne suit pas le règlement que l’affaire avance et qu’il trouve une solution. Personne ne parle du Sentier Lumineux (« personne ne voulait en parler, ni les militaires, ni les policiers, ni les civils » p.151) ; l’Etat a entamé une grande propagande sur la fin du terrorisme et force toutes les couches de la société à croire et à prétendre que le Sentier Lumineux n’existe plus. Quand le substitut cherche à faire des rapports sur la situation ou même à parler à haute voix du problème, on le fait taire et toutes ses tâches lui sont retirées. (p 107-109) « Qu’êtes-vous en train de faire Chacaltana ? De vous présenter un rapport oral, monsieur… » « Cette nuit, on a pu constater une recrudescence du terrorisme dans la région. » « Une recrudescence, il ne faut pas exagérer, monsieur le substitut. Nous savons qu’il y a par ici quelques rigolos qui allument des feux d’artifices mais ils sont inoffensifs.

  • C’est que…

  • Ont-ils tué quelqu’un ?

  • Non, monsieur

  • Ont-ils blessé quelqu’un ? Violé un domicile ?

  • Non monsieur.

  • Proféré des menaces ? Procédé à un enlèvement ? Saccagé une propriété privée ? Avez-vous eu peur ?

  • Un peu, monsieur.

  • Soyez tranquille monsieur le substitut. Il se peut qu’il reste ici quelques éléments subversifs, mais pour l’essentiel, nous en avons fini avec eux. » […] « Te voilà frit mon frère » Quand le substitut fait face à très peu de coopération de la part de ses supérieurs dans la résolution du premier meurtre de Quinua, il écrit un faux rapport ceux-ci le félicitent aussitôt en l’appelant leur «homme de confiance» : « les forces armées de ce pays comptent sur votre effort infatigable pour faire respecter la loi et l’ordre. » (p. 81). L’exemple le plus marquant de ce silence et du déni de la vérité est la venue des journalistes pendant les élections à Yawarmayo. Chacaltana tente de dire la vérité sur les évènements de la nuit et de faire constater l’illégalité du déroulement des élections mais le lieutenant Aramayo l’interrompt et dément tout problème : « parfois, on dirait qu’il n’y a jamais eu de guerre. […] un climat agréable, la tranquillité de la campagne, les gens qui exercent librement leur droit de vote » ou quand le commandant Carrión dit « Lima ne doit rien savoir. La semaine sainte va emmener vingt-mille touristes dans cette ville. C’est le symbole de la pacification. Si l’on apprend qu’il y a une réapparition des terroristes, on va nous couper les couilles. [… ] Le terrorisme c’est de l’histoire ancienne» (p. 174)

Une troisième difficulté qui se pose est l’acceptation de la répression. Les autorités ne font rien pour arrêter les attentats qui perdurent, elles le cachent à la presse et la population est dans le déni et la résignation. Tout le long du livre, on ressent un sentiment défaitiste. Les autorités utilisent l’excuse de la langue comme barrière de communication. Les habitants des régions les plus reculées ne parlant pas Quechua, c’est inutile de leur expliquer les procédures de vote selon les lois et ils ne sauront pas s’il y a un enfreint à la loi dans les procédures de vote par exemple (portrait du président dans le bureau de vote) (« Les voisins, mon cher Chacaltana ne parlent même pas espagnol » p. 109). Plusieurs passages du livre décrivent cette résignation : lors d’une levée des soldats qui ligotent des jeunes garçons et les mettent dans un camion, Chacaltana veut s’y opposer mais Cahuide lui dit « Arrête de penser comme un manuel de droit […] ils feront leur service militaire. C’est tout. Ils auront du travail. Ici ils n’ont rien à faire. [… ] Ca va beaucoup mieux pour eux. » (p.113). Edith dit à Chacaltana « ici, personne ne comprend rien, et personne ne veut le reconnaître. » « Des témoins? Vous connaissez la musique. Personne ne parle, personne ne fait la moindre déposition, personne ne veut avoir de problèmes. » (p.263-264) Quand Chacaltana demande au médecin Posadas où le corps trouvé a pu être brûlé de la sorte, il lui répond « en enfer », résigné. (p.28)

J’ai relevé ces trois aspects car ce sont ceux qui ressortaient le plus pendant la lecture du livre mais il y en a d’autres comme le poids de l’armée dans le contrôle des affaires de la police, le poids de la religion ou encore la déconnexion entre Lima et la réalité des provinces.

Comment ces différences culturelles vont-elles affecter le travail avec des personnes de ou dans cette culture ?

Les trois différences poseront des problèmes dans l’environnement du travail. Dans tous les cas, elles empêchent le bon fonctionnement d’un travail en équipe ou individuel. Pour mon analyse, je vais utiliser l’exemple d’un Français qui va travailler au Pérou.

Il est difficile de travailler avec une personne qui a peur car elle n’aura pas confiance et elle ne sera pas prête à travailler en équipe. Je pense que cela créerait de gros problèmes de communication entre le français et le péruvien. Le péruvien qui a peur n’osera pas communiquer avec le français ou ne partagera pas son opinion. Le travail avancera moins vite. Dans le livre on a vu comment la mère de Justino était terrorisée quand Chacaltana est venu parler avec celui-ci. Elle ne voulait pas lui ouvrir sans même savoir pourquoi il venait. Quand Chacaltana a voulu savoir ce qui se passait la nuit des attaques avant les élections, la famille ne lui a pas répondu et ils étaient tous tassés dans un coin et ne répondaient pas aux questions de Chacaltana, ni même quand celui-ci s’est énervé. Cette famille vivait dans la peur et elle ne voulait ni ne pouvait se plaindre à personne car tout le monde déniait l’existence du sentier Lumineux.

La corruption et le silence sont aussi un grand frein et sont difficiles à gérer pour une personne qui n’y est pas habituée. Pour un Français qui va travailler au Pérou dans le contexte du livre, la situation est difficilement gérable. La corruption devient frustrante car elle se trouve à tous les niveaux de la société et dans tous les domaines. Comme chacun l’utilise, on pourrait presque parler d’un cercle vicieux : la corruption amène la corruption. Chacaltana pense au départ faire juste un rapport sur le premier cadavre qu’il trouve mais il n’a pas l’autorisation de poursuivre sans l’aval du capitaine Pacheco. Il perd donc une semaine à attendre que son supérieur lise son rapport. Comme celui-ci ne veut rien savoir de cette affaire, Chacaltana décide de dévier le règlement et de continuer ses recherches. Ainsi, à chaque fois, il va user de la faille dans le système et avancer dans son enquête, sachant qu’il serait resté dans son bureau à ne rien faire s’il attendait l’autorisation du capitaine ou du commandant. Un français ne va pas savoir déjouer les règles et risque de créer des tensions dans un tel environnement de travail. Il risque aussi de se retrouver souvent dans la situation de Chacaltana à Yawarmayo, quand celui-ci voulait dénoncer les attaques de la nuit mais tout le monde lui a dit de se taire.

Très vite, Chacaltana se rend compte qu’il peut utiliser la corruption à son avantage et c’est de cette façon qu’il obtient plus de renseignements. Il utilise le nom de l’armée pour son influence ou il utilise des menaces pour installer la crainte chez les gens. Les gens se soumettent donc à cette influence au lieu d’essayer de la combattre.

Ce qui nous amène au troisième aspect, la résignation. Comment travailler avec des personnes qui n’ont pas d’espoir de changement dans leur avenir ou qui ne font rien pour que leur situation s’améliore ? Je pense que c’est quand même l’aspect le moins dur à gérer. Il est plus aisé de redonner confiance à une personne car la confiance peut se gagner petit à petit et facilement. En montrant que l’action qui veut être menée peut marcher sans lui porter préjudice alors peut-être que la communication sera plus aisée. En revenant à la prison, Chacaltana a un peu gagné la confiance de Hernán Durango González et celui-ci s’est ouvert, même si, dans ce cas précis, il n’était pas fataliste et croyait encore aux chances du Sentier Lumineux de gagner la guerre.

Je ne qualifierais pas le silence, la corruption ou la résignation comme des différences culturelles car ce ne sont pas vraiment des traits propres à une culture. Cependant, ce sont trois problèmes qui ressortent dans le livre et qui, comme nous l’avons vu, porteraient préjudice dans le monde du travail aux différents acteurs concernés.