Des royaumes aux Etats modernes (historique)

Cheffi Brenner, Octobre 2007

Mots-clés

  • Période précoloniale
  • coloniale
  • réforme de l’Etat
  • transformation politique
  • modes d’exercice du pouvoir
  • Bénin
  • Togo
  • Ghana

Les obstacles à la construction d’un Etat viable en Afrique de l’Ouest, Etude comparative de 3 cas : Bénin, Ghana et Togo

Liens internes

Ces trois pays ayant été marqués par la même triple couche historique à savoir une période pré-coloniale suivie d’une période coloniale aboutissant sur une ère post-indépendance, il est intéressant d’étudier de façon liminaire les caractéristiques de chacune de ces périodes en essayant de déterminer les facteurs qui ont pu être structurants ou pas pour leur gouvernance actuelle.

 La période pré-coloniale

Si l’histoire précoloniale du Ghana et du Bénin est marquée par la présence de grands empires ou royaumes (Empire Ashanti pour le Ghana et Royaume du Dahomey pour le Bénin), celle du Togo est celle d’un éclatement des différentes sociétés au Togo, que ce soit au Sud comme au Nord, avec l’absence d’une entité fédérative représentée par un Empire englobant le territoire actuel.

[Cf. Carte où le territoire de l’actuel Togo est enserré entre 2 empires : Asante et Dahomey.]

 

 

(Nécessité accord de Hatier pour utilisation de la carte)

Cf. également : l’Afrique politique vers 1800 : principales formations étatiques : www.histoire-afrique.org/image.php3?i=gif/01.-Af.-politiq.-1800.gif

Eclatement des entités au Togo

Au sud du Togo

A la fin du 16ème siècle, sous le règne autoritaire d’Agokoli 1er sur le royaume de Tado (un royaume situé au Sud de l’actuel Togo), va se produire un exode important aboutissant à la dispersion des Ewé. Ce règne va en effet être marqué par des conflits d’autorité à l’intérieur de la ville de Notsè et des vagues de migrations successives entre la fin du 16ème et tout le long du 17ème siècle vont aboutir à l’occupation du pays Ewé.

L’expérience du pouvoir centralisé très autoritaire d’Agokoli va laisser des traces et empêcher le renouvellement de telle expérience centralisatrice. Dès lors vont se développer sur des territoires donnés, des entités autonomes ayant leur mode de fonctionnement politique propre, « chacune ayant à sa tête le Dufia (chef de village) entouré des « Dumegan » (notables). Cette forme de pouvoir est loin d’être individuelle et tyrannique. Il s’agit, le plus souvent, d’un pouvoir collégial exercé par un chef certes, mais avec le concours des notables qui sont généralement les sages aînés de chaque lignage ou bien de chaque quartier. Etant donné la proximité et les contacts réguliers avec l’aire culturelle Akan (dans l’actuel Ghana), les structures du pouvoir sont largement influencées par le mimétisme avec les structures administratives ashanti, d’où l’adoption des terminologies comme Tchami (notable et soldat), Asafo et autres. » /

. Dans le Moyen-Togo, notamment dans la région des plateaux ainsi que parmi les populations de montagnes, les structures politiques traditionnelles sont les mêmes, et largement influencées par le modèle ashanti. Cependant, dans la partie centrale : les régions de Tchaoudjo (Sokodé) et Tchamba, et même Bassar, l’introduction précoce de l’Islam due aux caravanes en direction de la zone de forêt au Ghana actuel, a abouti à une juxtaposition des pouvoirs traditionnels fondés sur les chefs de lignage à la hiérarchie islamique des Imams, l’autorité traditionnelle apparaît ici multiforme.

. Plus au nord, au sein des populations Kabyè, Lamba, et Nademba, il n’y a pas de pouvoirs centralisés en raison de leur habitat très dispersé dans des sites parfois isolés et difficiles d’accès. Chaque soukhala était sous l’autorité du chef de lignage constitué en classes d’âge . Seuls les regroupements épisodiques liés aux rites initiatiques donnent l’occasion de rassemblement mais le Tchotcho (littéralement le père du chef) guide spirituel, n’a pas de pouvoir réel autre qu’une influence sur le plan religieux.

. A l’extrême nord réapparaît la notion de chefferie sur le modèle Gourma c’est à dire avec à sa tête un Ladjo aidé par un conseil des anciens.

Il apparaît donc dans le cadre des frontières de l’actuel Togo une grande diversité de modes de fonctionnement politique qui ne sont pas amenés à coopérer, ce qui peut encore aujourd’hui poser problème quant à la légitimité d’un pouvoir unique.

Cela étant il est à noter que, dans tous les cas, la collégialité du pouvoir, que ce soit dans le sud ou dans le nord, le plus souvent exercé par les aînés censés être proches des ancêtres, a constitué un gage de solidarité entre les générations et un lien privilégié entre la base et ceux qui exercent le pouvoir. Dans certains villages du Sud, il y a même une institution particulière de recours contre les abus éventuels des chefs. Il s’agit du Fioto, un personnage auprès de qui l’on peut se plaindre des comportements répréhensibles du chef.

Tout ceci contribue traditionnellement à stabiliser les rapports entre les détenteurs du pouvoir et la base, c’est-à-dire la collectivité villageoise. Presque partout, il est inscrit dans les consciences collectives la nécessité de prendre part à des travaux communautaires qui vont de l’aménagement des places publiques à l’entretien même des chefs ou rois en passant par la protection et la sauvegarde de l’environnement.

Présence d’empires fédérateurs au Ghana et au Bénin

. Présence de l’Empire Ashanti au Ghana

Le Ghana actuel est à différencier de l’Empire du Ghana qui disparut au 11ème siècle et qui était situé entre le moyen Sénégal et l’actuel Tombouctou.

Parmi les sociétés qui vont former l’actuel Ghana, l’Empire Ashanti est celui qui a l’histoire la plus cohésive et aura une influence majeure sans minimiser la présence d’autres empires comme les Mossi ou encore les Gonja. A partir de la moitié du 17ème siècle les Ashantis, emmenés par des leaders charismatiques vont commencer une expansion qui va les mener à la domination de différents peuples devenant ainsi l’empire le plus puissant de la zone forestière au centre du Ghana. Sous le règne du célèbre Chef Ossei Tutu, la Confédération des Etats Ashanti devient un Empire avec sa capitale à Kumasi. Il entame une consolidation à la fois politique et militaire et met en place un pouvoir fortement centralisé. Cependant Ossei Tutu permet à tous les territoires rejoignant la Confédération de garder ses coutumes, ses lois propres ainsi que ses chefs qui siégent d’ailleurs au Conseil de l’empire (« Ashanti state council »). Chacune de ces sous entités conserve ainsi un certain nombre de ses règles internes mais dans le même temps, il se développe un fort sentiment d’unité dans la mesure où ce qui releve de l’intérêt national est subordonné par les communautés elles-mêmes à l’autorité centrale.

Au milieu du 18ème siècle, l’Empire Ashanti était hautement organisé. Les conquêtes des états comme ceux de Mamprusi, Dagomba et Gonja permettent une expansion dans le Nord de l’actuel Ghana. L’expansion au Sud met les Ashantis au contact des populations de la côte, les Fante, les Ga-Adangbe et les Ewés.

[Cf. Carte : Organisation de l’Asante au 17ème et 18ème siècle :

www.histoire-afrique.org/image.php3?i=gif/156713Asante.gif ]

L’Empire Ashanti nous donne donc l’exemple d’une organisation fédérale incluant des peuples différents mais qui apprirent très tôt à transcender les intérêts communautaires pour développer un sens de « l’intérêt national ». Cela s’est fait grâce à une acceptation et une représentativité de divers intérêts communautaires et non pas par la négation de ceux-ci.

. Présence de l’Empire du Dahomey au Bénin

Fondé au début du 17ième siècle, le Royaume du Dahomey a graduellement étendu sa domination autour de sa capitale Abomey, sur la plus grande partie de ce qui est maintenant la partie sud du Bénin. Jusqu’à la colonisation, ce royaume, dont les frontières dépassent celles du Bénin actuel, est dirigé par un « Oba ».

[Cf. Carte : www.histoire-afrique.org/image.php3?i=gif/156712Benin.gif

N.B : l’empire du Bénin figurant sur la carte ne correspond pas au Bénin actuel, c’est le Royaume du Dahomey qui se situe sur l’actuel Bénin]

C’est une société très organisée politiquement.

Ainsi ces deux grands royaumes de la région côtière d’Afrique de l’Ouest qui se sont également développés avec la traite négrière étaient dotés d’une organisation politique qui a sans doute joué un rôle globalisant au sein de leur territoire, ce qui n’existe pas sur le territoire de l’actuel Togo.

Ceci pourrait expliquer, bien que ce ne soit sans doute pas la seule raison, les succès différents que connaissent les processus démocratiques entre le Ghana, le Bénin d’une part et le Togo d’autre part.

La période coloniale

L’Afrique politique en 1900

(Nécessité accord de Hatier pour utilisation de la carte)

Bénin

Dès 1851, La France signe un traité commercial et d’amitié avec le chef de Porto Novo, capitale de l’actuel Bénin alors que des comptoirs portugais étaient déjà présents sur la côte. Le roi de Porto Novo signe ensuite en 1883 un traité de protectorat avec la France pour se protéger de l’expansion du Royaume du Dahomey. Un des célèbres rois du Dahomey, Béhanzin ayant résisté aux français sera battu et capturé en 1894, ce qui marque la fin de ce Royaume et le nom de Dahomey est donné à tout le territoire. Le Dahomey entre dans l’Afrique occidentale française en 1899.

Les frontières sont établies selon un accord commun avec la Grande-Bretagne (alors au Nigéria) et avec l’Allemagne (présente alors au Togo). La scolarisation se développe de façon importante après la première guerre mondiale, (notamment grâce aux missions religieuses), surtout dans le sud qui deviendra un des principaux foyers politiques et intellectuels de l’ AOF (Afrique Occidentale Française). On parlera un temps du « quartier latin de l’Afrique ». Dès cette époque se développent de nombreux partis politiques. Le Dahomey devient successivement colonie française jusqu’en 1946, territoire d’outre-mer de 1946 à 1958, république autonome dans le cadre de la Communauté en 1958 et indépendante en 1960.

Ghana

En 1874, les Britanniques fondent une nouvelle colonie après avoir battu les Portugais et Hollandais installés sur le territoire de la « Gold Coast ». En 1922, une partie du Togoland, le Togo britannique est rattachée à ce territoire qui deviendra le Ghana après l’indépendance. Aux yeux des Britanniques, la Gold Coast représentait un cas à part dans la mesure où elle est alors une des colonies les plus riches d’Afrique, elle restera le premier producteur de cacao pendant 40 ans, dotée d’une agriculture prospère. Son système éducatif était le plus avancé constituant un réservoir de personnel formé le plus important des colonies africaines. Enfin le pays est relativement homogène et donc exempt de tensions ethniques ou religieuses, la moitié de la population étant d’origine Akan et parlant des dialectes s’y rattachant. Le système britannique va donc s’adapter à ces particularités. En 1957, la Gold Coast devient le premier pays d’Afrique colonisé à accéder à son indépendance et devient le Ghana.

Togo

Les navigateurs portugais reconnaissent le littoral du Togo dès le XVe siècle, mais les premiers établissements, au XVIIIe, sont danois. Au XIXe siècle, Anglais, Français et Allemands leur succèdent. L’Allemagne s’impose en 1884 et les limites de ses possessions sont fixées par des accords avec l’Angleterre et la France. Le Togo alors Togoland, dont la superficie est plus grande que celle du Togo actuel, devient un protectorat allemand. Après la défaite des allemands à la fin de la 1ère guerre mondiale, le Togoland passe sous mandat de la SDN (Société des Nations) et cette zone va être divisée en deux :le Togo français, actuel Togo et le Togo britannique rattaché à la Gold Coast, actuel Ghana . La SDN attribue aux deux puissances un mandat de tutelle.

En 1946, le Togo accède au statut de territoire associé de l’Union française sous tutelle des Nations-Unies et devient en 1956 république autonome dans le cadre de la Communauté et indépendante en 1960.

Colonisations britannique et française

Dans leur système de colonisation, Britanniques et Français adoptent des règles différentes. Les 1ers, avec le système de l’ « indirect rule » dans la plupart de leurs sphères d’influence, ont laissé en place des structures de pouvoir de l’indigénat faisant des dirigeants locaux les représentants de la couronne britannique sur place. Les français quant, à eux choisissent de mettre en place des élites culturellement assimilées qui représenteraient l’idéal français dans les colonies. Contrairement aux britanniques, les territoires des colonies françaises sont considérés comme faisant partie du territoire français, de « la plus grande France ».Ainsi, l’évolution politique signifiait de donner aux africains une certaine représentativité au parlement français. C’est ainsi que dès le 19ème siècle la possibilité est donnée aux résidents de 4 villes de la Côte du Sénégal d’élire un représentant. En 1914, le premier député africain élu au Sénégal arrive à Paris et devient bientôt ministre junior .

Après les indépendances

Dans ces trois pays, la période après les indépendances est marquée, à des époques différentes, par une radicalisation du régime au pouvoir, l’installation de partis uniques que les puissances étrangères ne vont pas dénoncer. De même on notera dans les trois cas la présence de coups d’états militaires.

Au Bénin, en effet, les années qui suivent l’indépendance sont marquées par une grande instabilité politique, par une série de coups d’Etat et par une succession de régimes .

En octobre 1972, le colonel Mathieu Kérékou renverse le régime civil et prend le pouvoir. A partir de 1974, il met en place une politique d’inspiration marxiste-léniniste et, en 1975, proclame la République populaire du Bénin. Une nouvelle Constitution institue un régime à parti unique (le PRPB, Parti de la révolution populaire du Bénin). Dans les années 1980, le régime adopte une politique économique plus libérale.

Au Ghana, au moment de l’indépendance en 1957, Kwami N’krumah est déjà le chef d’Etat du gouvernement local après la victoire aux élections législatives de 1951 de son parti le Convention People’s Party. Ayant mené avec les Britanniques les négociations pour l’indépendance, il jouit d’une légitimité certaine. Sa vision du panafricanisme va également lui donner une aura dans tout le reste de l’Afrique. Cependant ses politiques économiques d’industrialisation à grande échelle vont ruiner le pays et conduire à sa perte de popularité. Il va également peu à peu durcir son régime en interdisant toute opposition. S’en suivront une série de coups d’Etats qui emmèneront au pouvoir Jerry Rawlings de 1982 à 1992 avant une ouverture démocratique.

Quant au Togo, l’indépendance installe au Pouvoir Sylvavus Olympio issu d’élections organisées sous la tutelle de l’ONU. Il met en place un pouvoir autoritaire et des tensions qui existaient déjà auparavant sont exacerbées. Elles concernent notamment les deux principaux partis, le CUT (Comité de l’Unité Togolaise) de Sylvanus Olympio partisan d’un Togo totalement autonome et le MPT (Mouvement Populaire Togolais) favorable à une coopération plus étroite avec la France. Sous-jacent apparaît également une fracture entre le Nord et le Sud. En 1963 a lieu le premier coup d’Etat d’Afrique orchestré par le Général Eyadéma. Sylvanus Olympio est assassiné et suite à des élections la même année, Nicolas Grunitzky prend le pouvoir. En 1967 un 2ème coup d’Etat est perpétré par le même Général Eyadema qui restera au pouvoir jusqu’à sa mort en 2005. Son fils Faure Gnassingbé prend alors la direction du pays dans des conditions fortement contestables.

Les jeunes Etats qui naissent après les indépendances doivent faire face au défi de leur construction et de leur maintien sur la base d’héritages politiques et culturels divers.