Les obstacles à la construction d’un Etat viable en Afrique de l’Ouest
Etude comparative de 3 cas : Bénin, Ghana et Togo
Cheffi Brenner, Octobre 2007
Mots-clés
- Bénin
- Togo
- Ghana
Liens internes
L’Afrique et notamment l’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui une des régions les plus crisogènes au monde.
Les trois pays choisis à savoir le Bénin, le Ghana et le Togo s’insèrent dans un environnement géopolitique instable, marquée ces dernières années par une multiplication des coups d’Etat : en Guinée-Bissau (septembre 2003) et à Sao Tomé et Principe (juillet 2003), tentatives de putsh au Burkina-Faso, en Guinée-Bissau (octobre 2004) et en Mauritanie (octobre 2003, putsh en 2005), renversement de Charles Taylor par une rébellion au Libéria (août 2003), remous politiques au Sénégal, déstabilisation de la Côte d’Ivoire (depuis septembre 2002) , troubles politiques au Togo en 2005/2006, sans compter les guerres meurtrières qui ont déchiré la Sierra Leone et le Libéria.
Pour ces raisons, il est important de questionner le système de gouvernance de ces trois pays qui se doivent d’être solides afin de faire face à un environnement aussi délétère ainsi qu’à leurs problèmes internes.
Dans la mesure où il s’agit essentiellement de crises internes au sein d’Etats jeunes dans la majorité, ils ont obtenus leur indépendance dans les années 60, la question de la construction de l’Etat ou de son existence s’y pose avec une certaine acuité. Face à la multiplication de coups d’Etats ou d’élections truquées, l’absence de légitimité des dirigeants devant les populations paraît essentielle parmi les obstacles à la construction d’un Etat viable dans ces pays. Cette problématique de la légitimité des pouvoirs induit celle de la démocratie et de la valeur de celle-ci dans ces régions.
Considérant qu’un des pré-requis pour la démocratie est l’existence d’un large consensus sur la manière dont doit être exercé le pouvoir, la question de la légitimité d’un pouvoir qui s’imposerait à tous doit être posée. En effet, ce n’est qu’à travers des pouvoirs légitimes ou tenus comme tels par la population que l’on pourra fonder des modes de gouvernance viables.
Or, dans la majorité des pays africains issus de la colonisation et contrairement à ce qui s’est passé dans la plupart des pays européens, la construction de l’Etat moderne a précédé celle de la Nation. Le tracé artificiel des frontières issu de la Conférence de Berlin (1885) a forcé à vivre ensemble des peuples qui n’avaient pas forcément une volonté ni un habitus de cohabitation.
Le manque de légitimité du pouvoir est un des facteurs de fragilité de ces Etats qui présentent un risque d’implosion et constituent un danger non seulement pour leurs populations mais peuvent également poser problème pour l’ordre et la sécurité internationale. Pour Patrick Chabal , plus un pouvoir est illégitime et plus il est violent. La violence devient alors le seul moyen pour régner. Si l’on considère le nombre de régimes autoritaires et violents en Afrique, la question de la légitimité se pose encore.
Le choix de ces trois pays est guidé par plusieurs aspects qui, mis en comparaison, nous ont semblé intéressants du point de vue de la compréhension des phénomènes de gouvernance actuelle qui y prévalent.
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Tout d’abord il y a la proximité géographique, ces trois pays étant voisins. Cette proximité explique également le fait que Bénin, Togo et Ghana connaissent certaines similitudes quant aux ethnies qui les composent par exemple au Sud avec les Ewe. En effet, les Ewé que l’on dénombre au Ghana s’étendent jusqu’au Bénin où ils forment l’ethnie des Fons. La même souche originelle, les « Ajatado » fonde le peuplement de la partie méridionale du Togo et du Ghana, tout comme celle du Bénin qui ont des structures sociales très proches. Un mouvement pan- Ewe, demandant la réunion des Ewe du Togo et du Ghana pris d’ailleurs naissance sous domination française et britannique.
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Ils sont composés tous les trois de mosaïques ethniques (avec un découpage entre un Sud plutôt chrétien et animiste et un Nord plutôt musulman). Il est donc intéressant d’étudier de quelle façon chacun d’entre eux gère cette hétérogénéité.
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La région est marquée par la présence de grands Empires coloniaux pendant la période pré-coloniale dans le cas du Bénin et du Ghana mais pas dans le cas du Togo. De quelle façon cela a-t-il pu donc affecter leur évolution jusqu’à présent ?
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Tous les trois ont connu la colonisation mais selon des modalités différentes ce qui a sans doute des répercussions encore actuelles : colonisation britannique pour la Gold Coast devenue le Ghana, française pour le Dahomey, rebaptisé ensuite Bénin et influences des deux pour le Togo. En effet ce pays est le seul d’Afrique à avoir vécu sous colonisation allemande, domination britannique et sous mandat français.
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Ils ont également connu tous trois des régimes autoritaires après leur indépendance avec une interdiction progressive des partis d’opposition et aucun n’a échappé à des coups d’Etats militaires. De plus, dans les années 90, ils ont entamé un processus de démocratisation, pour des raisons qui leur étaient à la fois internes et externes, mais ne l’ont pas entériné de la même manière par la suite.
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Aujourd’hui, au vu de ces similitudes, la différence en termes de gouvernance entre Togo d’une part, et Bénin et Ghana d’autre part, interpelle. Alors que le Ghana connaît son 9ème président (John Kufuor) élu démocratiquement, depuis son indépendance en 1957, le Bénin dont Thomas Yayi Boni est le 17ème président a quant a lui été le premier pays africain à effectuer une transition démocratique réussie d’une dictature à un régime politique pluraliste en 1991. Entre ces deux pays, le Togo lui, a raté sa transition démocratique malgré l’existence depuis les années 1990 de partis d’opposition : le président Gnassingbé Eyadema (3ème président depuis l’indépendance en 1960), est mort le 5 février 2005 après 38 ans de règne et a été remplacé par un de ses fils Faure Gnassingbé dans des conditions forts contestables (modification constitutionnelle, suivi d’un scrutin qui s’est déroulé dans la violence).Si le Bénin et le Ghana paraissent avoir bien réussi leur transition politique vers la démocratie avec plus ou moins de violence, le processus apparaît plus problématique au Togo.
Faut-il voir dans ces divergences la marque de différences culturelles et historiques anciennes ou bien y’a –t-il d’autres facteurs explicatifs ?
Pourquoi n’assiste-t-on pas à un développement homogène du modèle démocratique dans la région ? Est-ce le fruit de spécificité des modes de gouvernance ?
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Enfin, il est intéressant de noter que le Bénin, le Ghana et le Togo se caractérisent tous trois par une absence de ressources minières exportables en quantité importante, telles que le diamant ou le pétrole. Ceci les met peut -être à l’abri de l’engrenage violent que connaissent leurs voisins pourvus de telles richesses (Libéria, Sierra Leone ou encore Côte d’Ivoire). Il serait donc intéressant de s’interroger, d’autant plus dans le contexte de globalisation actuelle, sur le rôle que peuvent jouer des facteurs économiques tels que la présence de ressources importantes et leur redistribution, de l’étendue du territoire et la densité de la population sur les questions de gouvernance et les tensions qui peuvent en découler. Par exemple, plus un Etat est grand ou riche et plus doit-il être doté d’institutions fortes qui assurent une meilleure répartition ? Quel niveau de représentativité de l’Etat est-il plus à même d’assurer un contrôle du territoire ? Autant de questions qu’il serait intéressant d’aborder mais qui ne feront pas l’objet de cette présente étude.
Notre étude, comparaison de ces trois cas que sont le Bénin, le Ghana et le Togo démontre que, contrairement à certaines thèses selon lesquelles la démocratie n’est pas faite pour l’Afrique, cette idée n’est pas avérée et ne peut être systématisée. En effet, malgré quelques écueils, le Bénin et le Ghana représentent des exemples qui fonctionnent. En revanche, au Togo, pays enserré entre les deux précédents, le processus est plus compliqué.
Quelles sont donc les raisons de ces différences, quels sont les obstacles à la formation d’un Etat « construit et fonctionnel » , c’est-à-dire ayant des institutions viables, capables de remplir un certain nombre d’obligations vis-à-vis de sa population et par laquelle il est reconnu comme légitime ?
S’il peut exister une différence entre la gouvernance réelle et la façon dont celle-ci est perçue, plusieurs facteurs influencent les rapports entre les leaders et les populations.
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Il y a la structure sociétale pré-coloniale qui va déterminer l’idée même de la construction d’un Etat ;
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Les règles appliquées lors de la colonisation, notamment les institutions qui vont y être créées mais aussi la façon dont la décolonisation va être menée ;
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La personnalité même des chefs d’Etat ne peut pas être niée, notamment la façon dont se construit cette personnalité et le rôle que les populations vont y jouer : apparaît-il comme un homme messianique, quels mécanismes peuvent le conduire ou pas à une gestion patrimoniale de l’Etat etc.
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Enfin, le rôle de l’économie sociale à savoir par exemple si l’Etat est capable d’accumuler des ressources pour ensuite les redistribuer.
Partant de ces constats, nous avons considéré que la légitimité d’un Etat provient de 3 facteurs essentiels à savoir : la fourniture de services, la capacité à maintenir une certaine sécurité et le traitement égalitaire des groupes en présence.
Dans cet article nous définissons l’Etat selon 3 critères à savoir : l’Etat en tant qu’Institution, l’Etat en tant que Territoire et enfin l’Etat en tant qu’Identité/Nation, c’est-à-dire l’idée d’appartenir à une même Nation. Or, chacun de ces trois aspects posent problème avec plus ou moins d’importance dans les trois pays étudiés. C’est pourquoi nous avons cherché à déterminer les causes de ces difficultés afin de proposer des solutions acceptables en termes de gouvernance.
Dans la mesure où le Bénin, le Ghana et le Togo, comme la majorité des pays africains, ont connu la colonisation et ont donc à la fois un héritage pré colonial, colonial et post indépendance, notre grille d’analyse porte sur les différents modes de légitimité du pouvoir au cours de ces trois périodes historiques ayant marquée ces pays (pré-coloniale, coloniale et post-indépendance) et leur évolution. Comment s’articulent –t-ils avec la construction de l’Etat.
Finalement des modes de pouvoirs « légitimes » mais qui ne correspondent pas exactement à la définition d’un Etat moderne peuvent-ils quand même représenter un modèle acceptable ? Est ce que le modèle de démocratie « à l’européenne » est la seule solution à la légitimation du pouvoir en Afrique ?